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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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pas de rendre visite à Mlle de Lens en toute discrétion. Comme mes autres novices, je l'avais installée non loin de mon hôtel, dans un petit appartement fort coquet dont le salon donnait sur un étroit balcon. Ce détail aura son importance. Un jour, M. de Choiseul profita de sa venue aux Tuileries pour rendre une visite inopinée à la jeune femme. Je ne saurais trop conseiller d'éviter ce genre de toquade avec une maîtresse si l'on veut garder ses illusions. Car ce qui pouvait survenir ne manqua pas d'arriver : le carrosse du ministre s'arrêta devant chez Mlle de Lens alors qu'elle était en plein recueillement avec un de ses adeptes, le fils d'un riche bourgeois du faubourg Saint-Honoré. Sachant M. de Choiseul très jaloux de ses amitiés intimes, elle perdit un instant la tête et demanda au jeune homme de s'éclipser. Cependant, M. de Choiseul était déjà dans l'escalier et la fuite s'avéra impossible : ma novice ne trouva d'autre expédient que de pousser le galant à moitié dévêtu sur le balcon. Elle fit disparaître à temps ses traces et reçut son puissant amant avec à peine moins de chaleur qu'à l'habitude. Dix heures du soir allaient sonner quand M. de Choiseul décida de se retirer. Par malheur, il lui prit l'envie de jeter un œil dans la rue depuis le balcon pour voir si son carrosse l'attendait. La peur donne des ailes, dit-on, mais pas suffisamment pour s'envoler d'un balcon et le pauvre garçon fut découvert, tout transi de froid et fort peu à son avantage. M. de Choiseul entra alors dans une violente colère, certain qu'on lui avait tendu un traquenard. Inquiet de ce que le jeune homme avait pu observer depuis sa cachette, il exigea son silence, le menaçant même des pires représailles. Le garçon ne demanda pas son reste et fila prestement. M. de Choiseul extorqua ensuite à Mlle de Lens le nom du malheureux avant de disparaître, furieux de sa mésaventure. Il ne revint jamais chez moi, soupçonnant que j'étais pour quelque chose dans cette affaire. Quant au jeune homme, Mlle de Lens me confia qu'elle ne le revit pas, ni personne d'ailleurs, puisqu'il disparut quelques semaines après et sa famille n'eut plus jamais de nouvelles de lui 10 .
    Vous comprenez mieux maintenant comment cette aventure ajoutée à mon amitié avec le duc de Richelieu furent les sources de la sévère défiance dont M. de Choiseul se piqua très tôt à mon égard. Voilà comment on provoque les gens à faire de la politique, car dans tout ce qui suivit, ce fut bien cette inimitié qui alimenta mes plans. Mais, pour l'heure, ma maison y gagna d'être plus étroitement observée par les services de M. de Sartine, nouvellement nommé lieutenant général de police, et qui donnait la main à toutes les lubies de M. de Choiseul.
     
    N'ayant jamais eu maille à partir avec les services de police, mon nom était toutefois connu des fonctionnaires du Châtelet. Une de mes relations m'avait décrit comment d'anonymes plumitifs faisaient régulièrement leur pain de tous les ragots de Paris puis les faisaient parvenir à Sartine qui en donnait copie des meilleurs morceaux au roi. Mon nom eut plus souvent que d'autres l'honneur de figurer dans cette misérable chronique, m'octroyant une place de choix parmi les gentilshommes à surveiller. L'ire de M. de Choiseul accentua le zèle des espions, et la visite d'une paire de sbires de M. de Sartine au début de l'année 1761 ne m'étonna qu'à moitié. Je n'étais pas là : Simon les reçut. Les deux butors prétextèrent que le voisinage s'était plaint des allées et venues qui à toute heure de la nuit troublaient son sommeil. C'était en grande partie très faux car la fameuse porte dérobée dont je vous ai déjà parlé garantissait de ce désagrément. Les deux agents de M. de Sartine en profitèrent pour interroger Simon sur les habitués de la maison. De ce qu'il m'a rapporté, ce dernier tint sa langue aussi bien qu'il le put, se contentant de citer les noms des plus puissants de mes invités, dont celui de M. de Sartine lui-même. Simon m'étonna positivement à cet endroit, le lieutenant général de police n'étant jamais venu chez moi, mais il était assurément celui qu'il fallait évoquer pour abréger l'entretien avec les deux limiers. Simon a parfois de ces inspirations dont je ne sais si elles sont réfléchies ou résultent seulement de sa profonde imbécillité.
    Reste que l'épisode prouvait qu'il était désormais utile de faire jouer mes

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