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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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Seingalt est un de ces bienfaiteurs, je ne crains pas de l'affirmer. En voici la preuve. Grâce à une potion qu'il m'a enseignée, j'ai été garanti toute ma vie des fatigues qui assaillent généralement le corps. Mieux, je puis dire qu'en certaines circonstances qui me sont chères la chimie préconisée par M. de Seingalt m'assure une vigueur dont on me félicite souvent. Le secret ? Je vous le livre, bien qu'il nécessite un peu d'aplomb pour le réaliser. Ce ne sera pas long. Tout d'abord, il faut se procurer des sels de Vénus, de l'huile d'Istrie, du cacao et de l'extrait de gingembre. Ensuite, et c'est là où l'on doit faire preuve d'une once de fermeté, il faut se faire tirer une bonne rasade de sang, de manière à en remplir un grand verre. Dans ce précieux liquide, on mélangera les ingrédients cités plus haut, avant de laisser reposer toute une nuit. Enfin, on boira ce breuvage au lever : vous m'en direz des nouvelles 11 . Aujourd'hui encore, une fois le mois, je demande à Simon de me saigner – il ne s'en tire pas plus mal que beaucoup de charlatans – afin de préparer mon élixir. Cette bête s'est d'ailleurs mis en tête que mon sang est doté de quelque vertu magique, propre à séduire ou je ne sais quoi. J'ai tenté de lui expliquer qu'il s'agissait là de science et non de sorcellerie, il ne semble pas en croire un mot. Las, de toute façon, son sang est corrompu par sa bêtise congénitale. Et si on pratiquait la même expérience sur sa personne, sa stupidité n'en serait que plus vigoureuse encore. Mais achevons cette digression : je reviens à mon récit.
    *
    Au mois de mars de l'année 1762, l'air du pays se rappela à moi d'une bien lugubre manière : les gazettes relataient l'odieux supplice du marchand Calas à Toulouse, accusé sans preuve d'avoir assassiné son fils, tout cela au seul motif qu'il était de confession réformée. Je l'ai dit, cette ville est un repaire de fanatiques. Et le procès de Calas fut une farce dont M. Voltaire a eu bien raison d'en fustiger les juges. Il m'est arrivé d'évoquer quelquefois l'affaire avec lui, l'éclairant en particulier sur l'intolérance comme la cruauté des habitants de notre province.
    Mais cette année-là, le vent de la persécution ne souffla pas qu'à Toulouse : à partir du mois de juin, on me déclara une petite guerre qui allait faire de moi une sorte d'hérétique. La raison de cette nouvelle croisade ? Peut-être mon enquête sur les plaisirs du roi avait manqué de discrétion, ou bien une âme perspicace avait deviné mes projets ? Je ne sais. Toujours est-il que j'essuyai à cette époque les sévères bordées de la coterie de Mme de Pompadour, qui gonflèrent férocement les rumeurs sur mon compte jusqu'à la Cour. Mes affaires en subirent une franche décrue. De toute part, on se défiait de moi. Chaque jour apportait son lot de calomnies : le lundi, j'étais amateur de jeunes enfants, le mercredi on affirmait que je faisais enlever des vierges dans des couvents, tandis que le vendredi il se répandait le bruit de mes libertinages avec des garçons. Le dimanche enfin, on me soupçonnait curieusement de faire le sabbat avec des juifs. C'est ainsi, lorsque la fable est grossière, elle se marchande mieux auprès des sots qui font l'opinion commune 12 . Mais plus inquiétant, il se colportait surtout que mes prétendues débauches ne tarderaient pas à me conduire à Vincennes ou à la Bastille. M. de Sartine, disait-on, attendait un signe de la marquise pour se saisir de ma personne sur l'accusation de proxénétisme. Pas moins.
    Proxénète : le mot était lâché. Il ne m'a plus quitté depuis. Je n'en ai cure, car, au cours de ma vie, on m'a donné bien d'autres sobriquets : le Sultan, le Turc, le Roué. J'aime d'ailleurs ce dernier, il me va bien. À ceux qui n'en connaissent pas le sens, qu'ils sachent juste que c'est ainsi qu'il y a fort longtemps, le Régent se plaisait à nommer ses compagnons d'orgie, car il disait en manière de boutade que leurs vices méritaient la roue. La métaphore est restée pour désigner un débauché, et de méchants libelles se divertirent en suggérant que Toulouse aurait dû rouer l'infâme du Barry au lieu de l'innocent Calas. C'était charmant. Dans d'autres feuilles, on m'associait à M. de Richelieu, ce qui acheva d'en signer la provenance. Le duc me le confirma.
    Devant ce feu nourri, nous décidâmes de faire le dos rond : il rentra dans ses terres de Guyenne, pendant que

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