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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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je m'imposai de ne plus me montrer à Versailles. Trois mois passèrent. Décembre arriva lorsque j'envisageai de rompre ma retraite. La possibilité d'une paix avec l'Angleterre revenait dans toutes les conversations, et des préliminaires commençaient de se tenir à Fontainebleau. Le climat était à la trêve : je crus qu'elle valait aussi pour moi. Je me trompais.
     
    Un soir, je commandai à Simon de me conduire dans un salon de jeu où j'avais mes habitudes, près de chez la Gourdan. J'arrivai à destination quand, en sortant de ma voiture, un très jeune homme, bien mis et fort poudré, m'apostropha depuis un groupe de gentilshommes. Il reprochait à mon carrosse de l'avoir éclaboussé. Une petite pluie fine et froide venait de commencer à tomber et la chose était fortement improbable. D'ailleurs, les beaux habits de ce garçon ne portaient nulle trace de souillure, ce que je lui fis remarquer poliment. Ma réponse attisa sa nervosité : il demanda si je le traitais de menteur. Un murmure se fit entendre parmi ses amis. La provocation était puérile, et me tira un sourire, peut-être un peu narquois, je vous le concède. Ce fut en tout cas ce qu'il estima puisqu'il m'en demanda vivement raison sans autre forme de procès. Imaginez ma surprise devant une si brutale réaction. Je compris toutefois que le jeune homme savait à qui il s'adressait quand il me donna d'un air pincé du « monsieur le comte ». Il se présenta comme le vicomte de Cernay. Je connaissais ce nom : c'était celui d'un cousin du duc de Choiseul dont ce jeune belliqueux devait être le fils. La chose devenait limpide : le garçon cherchait sûrement à se faire valoir en défiant un homme dont il avait dû entendre dire beaucoup de mal. Il offrait une mine franche et je tentai d'engager la conversation pour démêler cette sottise. Mais il se raidit, se contenta de me donner rendez-vous près des Champs-Élysées pour le lendemain matin, puis il tourna les talons avec ses amis, me plantant là. Je restai interdit. J'ai eu quelques affaires dans ma vie, mais aucune pour un motif aussi stupide. Cette nuit-là, je dormis mal, je l'avoue.
    Levé aux aurores, j'arrivai le premier sur les lieux de la rencontre. J'attachai mon cheval à une grosse pierre qui me fit irrésistiblement songer au chevet d'une sépulture antique. Je suis peu enclin aux superstitions ; la coïncidence me laissa cependant perplexe. Je n'eus pas le temps d'échafauder de sombres conjectures : le carrosse de mon adversaire s'annonça bientôt au bout du chemin. Accompagné par deux amis guère plus âgés que lui, le vicomte descendit prestement de la voiture, tout en se débarrassant de sa veste et de son gilet. Je me dirigeai vers lui le pas assuré, bien décidé à tenter une ultime ambassade pour le raisonner.
    — Monsieur, débutai-je, cette affaire est à tous égards proprement indigne de mériter un tel traitement. Et votre bravoure ne souffrira pas de reconnaître qu'il y aurait du ridicule à vouloir en faire une question d'honneur.
    Le garçon ne voulut rien savoir : sans répondre, il fit signe à ses témoins de procéder aux préparatifs d'usage. Un des deux me signifia très poliment qu'il m'assisterait, puisque j'étais venu seul. Pendant ce temps, le vicomte faisait les cent pas, l'épée déjà en main. Je me mis à mon tour en garde, tout en continuant à essayer de le convaincre de l'absurdité de cette rencontre. L'œil noir, le vicomte m'avertit qu'il ne souhaitait plus m'écouter avant que l'affront ne soit lavé. Philosophe, je fis remarquer que ni lui ni moi ne serions peut-être bientôt plus en mesure de débattre. Il rétorqua en fouettant l'air de son fleuret, la mine définitivement fâchée. Las, j'avais fait tout ce que la raison commande pour éviter cette issue. L'honneur me dictait maintenant de ne plus tergiverser, au risque de donner le sentiment que je cherchais à me soustraire à son défi. L'affaire débuta.
    Le vicomte était bien fait et ardent. Après quelques moulinets très académiques accomplis avec beaucoup d'élégance, il changea de style et entama une charge digne d'un Prussien. Habitué des salles d'escrime, il avait cependant négligé de reconnaître le terrain : en plein assaut, son pied se ficha dans une grosse racine. La suite n'eut rien de banal. Une jambe rivée au sol, l'autre battant l'air, il dessina avec ses bras une figure des plus extravagantes afin de se rétablir, mais la manœuvre n'empêcha pas

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