Pour les plaisirs du Roi
tarderait plus, c'était une question de jours. D'après lui, Londres était le meilleur endroit pour se replier quelque temps avant de pouvoir revenir car, me confia-t-il, le parti de Mme de Pompadour perdrait bientôt son inspiratrice. La marquise ne quittait plus sa chambre et les médecins se montraient pessimistes – ce qui aurait également pu être un gage de longue vie. Ce courrier me rendit de l'entrain : il y avait pire exil que Londres. D'autant que le duc me promit d'envoyer quelques courriers à certains de ses amis dans cette ville, en particulier au baron John de Ligonier. Je quittai Paris pour Calais dans la soirée du 31 janvier 1762, avec Simon pour seule compagnie. J'avais le cœur un peu serré, je le confesse, car rien n'était écrit quant à mon retour. Mais aucune peine chez moi ne dure : au bout de quelques lieues, ma tristesse se dissipa pour laisser place à cette belle nature que vous me connaissez.
Nous fûmes à Calais en à peine deux jours. Ce grand port résonnait partout des conversations qui annonçaient la paix comme prochaine. Tout le monde s'en félicitait : la guerre n'est jamais bonne pour les villes portuaires, précisément pour celles installées en face de l'Angleterre. Je descendis avec Simon dans une auberge assez réputée de la région, tenue par un certain Dessain. J'y louai un petit appartement de deux grandes pièces, avec un salon et une chambre à coucher. Simon trouva quant à lui une paillasse dans une soupente. Je passai là une quinzaine de jours sans faire parler de moi. J'occupais mes journées à de longues promenades dans cette jolie ville, tandis que le soir je soupais tranquillement avant de me plonger dans la lecture d'une histoire de l'Angleterre qui me passionna. Depuis presque dix ans après mon départ de Lévignac, ce fut peut-être la première fois que je ne touchai ni à une femme ni aux cartes pendant deux semaines pleines.
L'annonce officielle du traité de Paris, qui mettait un terme aux hostilités entre les puissances de l'Europe après sept années de guerre, me tira de mon ermitage. Le lendemain, j'embarquai pour Douvres avec Simon, qui ne monta sur le bateau qu'à coups de canne. Le bougre n'ayant jamais vu la mer ni posé le pied sur un navire, il entrevoyait déjà sa fin. Elle ne vint pas, mais un affreux mal de mer ne le quitta pas de la traversée. Arrivé à Douvres, je passai une nuit sur place avant de filer vers Londres le lendemain. Je vous ai conté comment Paris est pour moi la capitale de l'univers. Je n'en dirai pas autant de Londres, même si cette ville ne manque pas de charmes pour celui qui sait les découvrir. Mais d'abord, il me faut vous dire un mot des Anglais.
Il n'y a de communs entre un Anglais et un Français que les deux bras et les deux jambes. Pour le reste, tout nous oppose. Je le dis sans malice car j'aime assez les Anglais. Mais force est de reconnaître pour un voyageur que ce peuple cultive sur son île un caractère bien à lui. Tout d'abord, ne vous piquez jamais de demander à un Anglais ce qu'il pense de la France : pour lui rien n'est au-dessus de sa patrie. Et s'il veut bien nous reconnaître quelques qualités, ce sera toujours à l'imitation des vertus anglaises. Cette détestable anglomanie qui frappe depuis quelques années à Paris est d'ailleurs pour ces insulaires la preuve qu'ils nous dépassent en tout. À l'époque, leur victoire dans la guerre qui venait de s'achever n'arrangeait rien à l'affaire. Elle leur était motif à nous féliciter pour notre vaillance, en même temps que de nous rappeler notre défaite à tout propos. Car l'Anglais habille souvent sa morgue d'une politesse exquise, du moins chez les gens de qualité. Pour moi, ils sont une leçon, car ils ne savent rien tant qu'usurper les qualités des autres en même temps qu'ils leur reprochent leurs propres vices. Et quand on leur rappelle que la dynastie qui les dirige est de souche française, ils vous rétorqueront qu'ils se souviennent que les rois d'Angleterre furent aussi rois de France. Bref, l'Anglais juge le monde depuis son île. Une île qui bien qu'elle ne se réchauffe qu'un mois par an est un autre prétexte à son orgueil. Cela, j'en conviens, à juste titre. Les campagnes, notamment, ressemblent à de véritables jardins. Les Anglais ont ce don pour adoucir les paysages aussi bien que leurs intérieurs. À Londres, les palais sont moins magnifiques qu'à Paris, mais souvent plus comfortable , comme ils
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