Pour les plaisirs du Roi
longtemps de Mme de Pompadour. Il est d'ailleurs dommage que le pape n'ait pas d'épouse ou de favorite officielle, nos affaires avec l'Église s'en porteraient peut-être mieux.
— Vous me conseillez de faire ma cour à Mme de Pompadour ?
— Peine perdue, mon ami. Abandonnez tout espoir de ce côté-là. Votre amitié pour moi est le pire des défauts à ses yeux.
— Alors, que faire ?
— En cette affaire, c'est le roi qu'il faut toucher.
— Le roi ? Je ne comprends pas. Vous me parliez d'une femme…
— Oui, je parle du roi. Je ne connais pas d'homme plus soumis à une femme, ou parfois à plusieurs.
— Eh bien ?
— Eh bien, cher comte, puisque vous aimez que l'on soit clair, je dirai que le jour où vous aurez comme alliée une femme qui se couche avec Sa Majesté, vos petits ennuis en deviendront de bien plus gros pour Choiseul et sa camarilla.
— Voilà un sage conseil, répondis-je en souriant, mais il y a loin jusqu'au lit du roi.
— Peut-être. Pourtant, je suis très sérieux, cher comte. Jusqu'alors, vous avez donné des protecteurs à vos amies, j'en sais quelque chose. C'est désormais une protectrice qu'il vous faut acquérir.
— Je mentirais si je soutenais que l'idée ne m'a pas parfois effleuré. Mais c'est là une partie qui peut s'avérer longue et risquée.
— Sûrement, le chemin sera peut-être difficile, mais il mène chez le roi et les efforts en seront récompensés au centuple. À vous de trouver la nouvelle Pompadour.
— Beaucoup s'y sont cassé les dents… rétorquai-je.
— Je connais Louis, je l'ai serré de près plus jeune, il ne peut résister à certains arguments. Et puis la Pompadour ne sera pas éternelle : il me revient qu'une méchante petite toux fait entendre sa musique certains soirs dans sa chambre. Il faudra aussi prendre soin de ce butor de Lebel. Il peut être un allié, mais méfiez-vous, il ne faudra le faire entrer dans le jeu qu'au moment où les joueurs seront déjà à la table.
Le duc s'interrompit car son fils le demandait. Avant de le rejoindre, il ajouta :
— Souvenez-vous de ceci, cher comte : le roi ne refuse rien à un homme dont la femme autorise tout.
— Mon épouse est loin, et je doute qu'elle fût du goût de Sa Majesté.
— Alors, trouvez-vous une épouse de complaisance, une maîtresse, une nièce, une pupille, que sais-je ? Le roi n'est jamais regardant lorsqu'il est amoureux. Mais il est toujours généreux, conclut le duc.
Ce soir-là, je rentrai chez moi avec la ferme conviction d'offrir une maîtresse au roi, peut-être même de donner une nouvelle favorite à la Cour, quitte à courir tout le royaume pour dénicher l'heureuse élue.
10 Doit-on prêter foi au récit du comte sur ce dernier point ? Je n'ai rien trouvé qui atteste ce qu'il sous-entend assez clairement.
Chapitre XVII
L 'idée du duc était simple. Sa réalisation présentait toutefois des difficultés que d'aucuns auraient jugées insurmontables si elle avait été soumise à un autre que moi. Mais vous le savez maintenant, je suis d'un naturel optimiste : je m'attelai au labeur avec enthousiasme.
En premier lieu, il était indispensable d'opérer une reconnaissance, comme lorsqu'on envoie des éclaireurs pour s'enquérir du champ de bataille. La réussite de l'assaut en dépendait : il fallait attaquer par là où la forteresse était la moins bien gardée. Bref, j'entrepris au début de l'année 1762 de me renseigner plus avant sur les goûts privés du monarque. Dans toute guerre, les espions ne sont pas inutiles et ma récente amitié avec Lebel allait m'éclairer sur nombre de détails capitaux. Incidemment, sans qu'il n'eût le sentiment que je l'interrogeais, je tirais du bonhomme de précieuses informations. Tout d'abord, car il faut bien un début, j'appris que si le roi n'arrêtait pas ses choix sur un type particulier, il avait une légère préférence pour les blondeurs. Un élément qui recélait son importance, mais dont vous conviendrez qu'il était un peu court pour satisfaire ma curiosité. Toutefois, Lebel, qui soit dit en passant était assez indiscret après quelques verres de bordeaux, me confia d'autres indications plus précises sur les penchants du roi. Ainsi, Sa Majesté goûtait les mines gaies, insouciantes, presque enfantines et à l'inverse rien ne l'indisposait plus que la gravité ou la sévérité. Il fallait cependant pour qu'il se sente émoustillé que ce visage d'angelot présentât quelques
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