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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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paysans ignorants et brutaux, l'histoire de ma vie s'écrivait à l'aune de ces infortunes, seulement adoucies par quelques médiocres romances. Tout cela m'engagea rapidement à me désintéresser des affaires du domaine et de ceux qui y agrippaient leurs tristes destinées 3 .
    1 1 mètre 75.
    2 Ceux qui connurent Jean du Barry dans ses glorieuses années affirment effectivement qu'outre sa taille sa physionomie ne révèle rien d'extraordinaire. D'autres assurent cependant que si ses traits sont réguliers mais communs, il dégage une aristocratique assurance. Quant à ses yeux, tous sont d'avis que c'est ce qu'il y a de mieux dans sa personne. Il a hérité du bleu roi de son père, qu'il met à la disposition d'une incroyable faculté à se composer un regard amical ou courroucé. Jusqu'à un âge avancé, je peux en témoigner, il conservera ce don.
    3 Dans ce premier chapitre, le lecteur aura remarqué que le comte ne mentionne rien quant aux études qu'il suivit. Fils aîné d'une famille noble mais désargentée, il n'en a pas moins bénéficié d'une éducation soignée. Élève des Jésuites, il quitte cette institution en 1740 pour se rendre à Toulouse où il étudie le droit. On sait peu de choses de ce séjour ; toutefois, des lettres de son père semblent indiquer qu'il s'y passa quelque chose de grave puisque Jean reçoit en octobre 1743 l'injonction paternelle de rentrer à Lévignac. Est-ce une affaire de mœurs déjà ? Ou peut-être un duel ? Mes recherches sont restées infructueuses.

 
    Chapitre II
    L e 17 mai 1753, je n'étais pas encore vieux, mais déjà plus un jeune homme. De guerre lasse, j'avais presque abdiqué mes rêves d'aventures et je m'apprêtais à être le héros d'une journée d'anniversaire qui s'annonçait sans plus de relief que les vingt-neuf précédentes. Pour l'occasion, voulant m'être agréable malgré nos fréquentes disputes, mon épouse avait fait préparer un déjeuner des plus copieux, servi dans le jardin de notre maison sur des tables drapées de tulle et ornées de la grande vaisselle de porcelaine du domaine. Quelques pièces y manquaient, mais le tout avait encore une incontestable tenue. Comme chaque année, mon frère, mes deux sœurs et quelques amis du voisinage assistaient à une journée qui n'avait certes rien d'exceptionnel, mais qui, à un regard étranger, aurait pu passer comme le parfait tableau de la douceur de vivre campagnarde. Dans cette peinture en trompe l'œil, je figurais en maître de maison, jouant toute la journée le rôle du débonnaire et attentif frère et mari. Nul n'était dupe de cette mise en scène, mais elle était une survivance de l'époque où mes parents vivaient encore et où nos querelles intestines étaient soumises à une fragile trêve.
    Après le traditionnel plat de rôti de veau qui présidait aux agapes de mes anniversaires – que j'appréciais d'ailleurs très modérément mais dont une légende familiale me faisait un grand amateur –, ma femme porta le toast rituel à ma santé et à ma prospérité. Elle l'agrémenta cette année-là d'un vœu :
    — Cher Jean, cher mari, je vous souhaite, pour les trente prochaines années, plus de calme et de pondération que lors des trente premières, dit-elle avec une pointe de cynisme.
    Bien que désirant intimement le contraire, je lui répondis gracieusement en souhaitant partager les trois prochaines décennies avec elle et entourée de mes proches. Mon frère, de son côté, ne se donna pas la peine de me souhaiter quoi que ce fût ; il se contenta de vider son verre en me regardant par en dessous. Quant à mes deux sœurs, trop occupées à se quereller un ultime morceau de veau, elles ne levèrent le nez de leurs assiettes que lorsque notre vieux valet de chambre vint annoncer l'arrivée d'un visiteur qui demandait à me voir. Nous n'attendions personne, mais, plutôt content de cet imprévu, je répondis de le faire venir jusqu'à nous. L'instant d'après, un jeune homme à la mine franche et honnête entrait timidement dans notre jardin, un gros portefeuille de cuir marron sous le bras, et tenant son chapeau dans les mains. Visiblement surpris de faire irruption dans une fête de famille, il s'arrêta au bout de quelques pas, cherchant des yeux à qui s'adresser. Je le rassurai en l'interpellant courtoisement et en l'engageant à se présenter. Rasséréné, il s'avança vers moi, et tout en me saluant fort honorablement il déclina d'un ton assuré son

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