Pour les plaisirs du Roi
identité et les raisons de sa venue.
— Monsieur le comte, maître Forland, notaire à Toulouse, rue de l'Ancien-Évêché, dont je suis le premier clerc, m'a chargé de vous remettre ce pli officiel. Après que vous en aurez pris connaissance, je dois recueillir votre signature et vous informer des détails de la procédure de succession, dit sobrement le jeune clerc avant d'extraire de son portefeuille et de déposer devant moi une large enveloppe scellée d'un fort cachet de cire bleu.
Je restai interloqué. Mais, instinctivement – je m'en souviens encore fort bien près de trente années plus tard –, j'ai senti que le destin venait de prendre les traits de ce jeune homme. Mon frère Guillaume fut toutefois le plus prompt à réagir.
— Vous dites succession ? Vous devez faire erreur, monsieur, nous n'avons rien légué et, à ma connaissance, personne dans notre famille n'a l'intention de décéder rapidement, dit-il d'un ton narquois, jetant un coup d'œil vers moi à la fin de sa tirade.
Le clerc ne se démonta pas. Et sans un regard pour mon frère, il s'adressa à nouveau à moi.
— De ce que je sais, monseigneur, vous êtes bien le parent, cousin au second degré, de Jean de Bassville, comte de Cérès ?
— C'est exact, comment va-t-il ? rétorquai-je, même si je pressentais la réponse.
Et, d'un ton de circonstance, le sympathique jeune clerc nous annonça le malheur qui venait de s'abattre sur la maison de mon cousin. Mon cœur se mit à battre plus fort.
Le jeune homme relata alors les circonstances de la disparition de mon malheureux parent.
— La semaine dernière, alors qu'il rentrait en pleine nuit chez lui après avoir rendu visite à un ami – j'appris plus tard qu'il revenait d'une petite maison tenue par une Hollandaise de ma connaissance –, M. le comte a été attaqué par des brigands à quelques pas de son hôtel particulier. Ne voulant pas donner sa bourse à ses agresseurs, il a reçu une demi-douzaine de coups de poignard qui vinrent à bout de sa résistance et de sa vie.
Mes sœurs et ma femme laissèrent échapper une bordée de « ciel », « mon Dieu » et autres « quelle horreur ! » Mon frère resta, lui, plus attentif. Toujours très poli, le jeune clerc reprit son récit.
— La nouvelle a d'abord été tenue secrète par l'intendant de Toulouse pour ne pas affoler la cité. Mais trois jours après ce lâche assassinat, les meurtriers ont été arrêtés, et la mort de votre cousin a été rendue publique. Veuf et sans enfants, il n'avait en droite ligne que votre famille, conclut-il avant de préciser que, selon les recherches effectuées par le notaire, c'était à moi que revenait l'héritage.
Il me fallait désormais me rendre à Toulouse pour les formalités d'usage et prendre possession des biens de mon cousin. Croyant avoir gâché notre fête de famille avec cette nouvelle, le jeune homme demanda ensuite à se retirer après que j'eus signé un premier document. Les quelques amis présents s'en allèrent également, tout en me faisant part de leurs sincères condoléances pour le décès d'un parent que je n'avais vu que deux fois dans ma vie, lors de mon mariage et à l'enterrement de mon père. Je restai seul avec ma famille, et la conversation prit très vite un autre ton. Mon frère ouvrit le feu le premier.
— Eh bien mon frère, en cette journée d'anniversaire, voilà un beau cadeau de notre défunt cousin, dit-il en insistant légèrement sur « notre ».
Bischi, ma sœur cadette, lui emboîta le pas, et fut plus précise encore.
— Un présent qu'il vient de nous faire, ajouta-t-elle en appuyant sur « nous » d'une voix aiguë.
Avant que je n'eusse le temps de répondre, ma femme tenta de rappeler que, pour l'heure, le chagrin de la perte de notre cousin devait l'emporter sur les détails de sa succession. J'allais également le dire, quand mon frère reprit la parole.
— Chère sœur, dit-il sèchement, en s'adressant à ma femme, cette affaire regarde les du Barry. Notre parent avait l'avantage de vivre en misanthrope et il veillait à n'entretenir d'affections particulières pour quiconque. Le sage homme en laissera d'autant moins de chagrin derrière lui. Pleurez notre vieux cousin si vous le souhaitez, mais son héritage nous concerne, moi, mes sœurs et… mon frère, bien sûr. Tu es d'accord, Jean ?
— Évidemment, Guillaume, dis-je, sans relever le ton qu'il venait d'employer avec mon épouse. Mais Catherine a raison,
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