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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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garder le soir, se disputant les vieilles
dames pour leur faire la lecture, distribuant les prospectus, servant dans les
bars, lavant les voitures, les plus déterminés allant jusqu’à réviser les
programmes concernant la distribution du courrier afin de se présenter avec le
maximum de chances au concours de la Poste. Ce qui vraiment vous surprend.
Maman ne vous a rien dit (son seul conseil se résumant à ceci : faites ce
que vous voulez sauf reprendre le commerce). Alors, voyons, qu’avez-vous à
votre actif qui pourrait vous faire valoir, vous permettre une entrée
triomphante dans la cour des grands ? C’est vrai que vous ne discernez pas
grand-chose à votre horizon. L’inventaire est rapide. Trois accords de guitare
sur lesquels vous fredonnez un semblant de mélodie et, comme vous avez
découvert, enthousiaste, qu’amour rimait avec toujours, en combinant les uns
avec les autres, vous rêvez que peut-être. Votre maman à laquelle vous ne
confiez rien, officiellement n’a pas d’avis, qui, spectatrice de vos efforts
artistiques, ne vous décourage ni ne vous pousse, mais parfois vous vous
demandez, tandis que, les yeux fermés, vous cherchez l’inspiration, et qu’au
moment de les rouvrir vous croisez son regard, si ce qu’elle éprouve à votre
égard n’est pas de l’ordre, au mieux, de la commisération.
    De même, en ce qui concerne les lancinantes questions
tournant autour de. Il ne vous serait pas venu à l’idée de lui en toucher deux
mots. L’ombre de Henry Bordeaux plane toujours, qui s’interpose dès qu’un homme
et une femme s’approchent l’un de l’autre. Du coup, pas moyen de découvrir ce
qui se passe entre eux. En parler à votre père n’eût sans doute pas été plus
commode, mais au moins vous vous souvenez de l’avoir vu dans des exercices de
séduction. Et visiblement pas intimidé. Très à l’aise avec les femmes, qu’il
fait rire et pour lesquelles il n’hésite pas à sortir son couteau. Pour la
bonne cause, bien entendu. Ainsi à l’occasion d’une sortie dominicale et de la
visite d’un zoo. A La Flèche, peut-être, où, alors que tombe une pluie fine, un
homme du parc exhibe un aigle perché sur son avant-bras enveloppé d’un mantelet
de cuir. La ménagerie ne se limite sans doute pas à l’exposition de rapaces,
sans doute y trouve-t-on tout ce qui, à caractère un peu sauvage, peut tenir
derrière des barreaux, mais en fait l’événement marquant de la visite se passe
du côté des civilisés, dans l’allée où une succession d’averses a rendu le sol
en terre glissant, obligeant les visiteurs à regarder où ils posent les pieds
pour éviter les flaques, ce qu’oublie de faire une jeune fille, attirée par le
rapace peut-être, ou son dompteur, ou comptant sur la vigilance de l’amie qui
lui tient le bras, mais qui soudain dérape et, comme nous passons tous les cinq
à sa hauteur, s’affale dans une flaque de boue. Elle est vêtue d’une robe d’été
à fleurs, évasée à partir de la taille, qui s’est remontée au moment de sa
chute, de sorte que toute sa jambe gauche jusqu’en haut de la cuisse est
maculée de boue. Se relevant avec l’aide de son amie, constatant l’ampleur des
dégâts, elle reste là, pétrifiée, riant et se lamentant à la fois, n’osant plus
faire un pas, un pied en suspension hors de sa chaussure, un escarpin blanc, qui
gît couché au milieu du chemin comme un bateau échoué sur le rivage, la main
droite en appui sur l’épaule de sa consolatrice, qui rit et se lamente aussi,
tandis que les passants s’arrêtent, compatissent et ne font rien.
    Sauf celui-là, le grand monsieur aux cheveux blanc, qui,
estimant d’un coup d’œil la situation, retrouvant ses réflexes d’homme
d’action, comme d’une trousse de premier secours, tire un couteau de sa poche,
celui, le fameux, tout en inox, auxiliaire indispensable du voyageur de commerce,
avec lequel il sectionne d’un coup sec les ficelles qui entourent les paquets,
resserre une vis, ajoute un trou à sa ceinture de cuir, et le cas échéant
débouchonne ou décapsule une bouteille. Seulement, cette fois, même si nous
connaissons les infinies possibilités de son arme de guerre, il nous paraît
qu’aussi perfectionnée soit-elle, on ne l’imagine pas en mesure de résoudre un
problème comme celui-là. Il ne s’agit tout de même pas d’amputer la jeune fille
sous prétexte que sa jambe est tachée. Et pourtant vous le voyez dégager

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