Pour vos cadeaux

rectangulaire sur pied qu’elle
incline de manière à suivre ses gestes et qu’elle bloque comme elle peut, car
il n’en finit pas de glisser (si bien qu’elle range le miroir avec le livre qui
lui sert à le caler), puis elle entreprend mèche après mèche de poser ses
bigoudis qu’elle enroule et fixe avec une grosse épingle en plastique, tout en
jetant de temps en temps un œil à la télévision. Après quoi elle se coiffe d’une
sorte de turban de mamamouchi et branche le sèche-cheveux qui gonfle l’étrange
coiffure à la manière d’une montgolfière. De ce moment, elle croise les bras et
s’essaie à suivre ce qui se dit et dont sous son casque ne lui parvient qu’un
mot sur deux, de sorte qu’elle a parfois du mal à saisir les subtilités d’un
débat télévisé. Si nous sommes là, il lui semble toujours qu’on profite de sa
surdité passagère pour se moquer d’elle et du fait qu’elle a compris de
travers, alors elle coupe le moteur du sèche-cheveux, se vexe un peu et change
de sujet : vous n’avez pas trop chaud ? Ce qui signifie qu’elle
étouffe sous son casque qui, faute de souffle, retombe comme une montre molle,
et que pour rien au monde elle ne voudrait passer pour avoir des exigences. Mais,
si jamais nous étions d’accord pour aérer, elle ne s’y opposerait pas. C’est sa
façon contournée d’exprimer un souhait.
    De même, l’année s’articule autour de quelques événements
cycliques, comme à la Toussaint les fleurs artificielles qui soudain envahissent
les deux étages du magasin, ou à la fin de l’été les bocaux de verre pour les
mises en conserve. Mais les deux grandes fêtes qui mobilisent toute son
attention et son énergie, qu’elle prépare en s’ingéniant à acheter en
conséquence, en prévoyant notamment des articles à petits prix pour les maigres
tirelires des enfants, ce sont Noël et la Fête des mères. Toute la semaine
précédente, les clients se sont bousculés, qu’il a fallu conseiller, orienter,
et parfois habilement dissuader quand, connaissant le goût de l’épouse, vous
êtes sûr que ça lui plaira ? à qui d’autres fois il convient de rafraîchir
la mémoire en rappelant que, l’an passé, ne lui avez-vous pas déjà offert un
presse-purée ? tout en développant devant chacun le même immuable
argumentaire qui consiste d’abord à demander à celui-là s’il a une quelconque
idée sur la nature du présent. Non ? Ce n’est pas grave, nous sommes là
pour ça, et voyez notre maman qui se plie en quatre, qui cherche ce qui
pourrait bien faire l’affaire, connaissant madame X et les moyens très moyens
de monsieur X, et qui donc amène doucement ce dernier à arrêter son choix sur
ce qui est dans ses cordes, en essayant de combiner article utilitaire et
esthétique, à renoncer à ce qui ne s’impose pas vraiment, comme un seau à glace
à qui ne possède pas de réfrigérateur, à prôner des mesures d’économie quand
une différence de prix entre deux objets quasi identiques mais de marques
différentes à ses yeux ne se justifie pas, ça vous fera le même usage, et
d’ailleurs, ce qui constitue la botte secrète de sa stratégie commerciale, vous
pourrez toujours échanger si ça ne convient pas. Elle jongle ainsi de client en
client, demandant à l’un de réfléchir pendant qu’elle s’occupe d’un autre,
plaçant un troisième devant le rayon des plateaux à fromage, courant chercher
dans l’entrepôt du jardin le carton correspondant au service à thé choisi par
un quatrième, questionnant à son retour l’homme aux plateaux à fromage qui
hésite encore, descendant au sous-sol emballer le service à thé, entendant
celui-là, une fois qu’elle a fini de coller l’étiquette Joyeux Noël sur le beau
papier-cadeau, préférer plutôt un service à café, s’il n’est pas trop tard,
mais non, il n’est jamais trop tard, elle remonte en courant, repart dans
l’entrepôt, la tête dans les épaules, sans jamais montrer le moindre signe
d’exaspération, sauf quand on semble la prendre de haut, ce qui arrive
quelquefois, avec des femmes de passage qui prennent des airs de citadines,
feignent de s’extasier qu’on puisse trouver une telle « boutique »
dans un endroit pareil, ce qui agace prodigieusement notre mère, qui se flatte,
souvenir de son père et des visiteurs de sa jeunesse, de connaître la vraie
distinction et ne se laisse pas abuser par ces péronnelles.
    Elle, elle a pris une