Prophétie
blasphème ! Il faudrait aller chercher le conseil municipal afin que ce blasphémateur soit envoyé en prison et châtié pour cette exhibition.
— Quelqu’un est allé au palais de Bonner, expliqua son collègue d’un ton à la fois sinistre et satisfait. Il ne perd rien pour attendre.
— Tu as raison, mon frère, cria une voix dans la foule. Tu as le zèle et la ferveur ! » La foule était dans l’ensemble plutôt bon enfant et considérait l’exhibition d’Adam comme un spectacle, une sorte de farce. Toutefois, comme dans le cas des costumiers, cela pouvait aisément tourner à l’échauffourée.
J’avançai jusqu’au premier rang de l’attroupement, me plaçai juste sous Adam et levai les yeux vers lui. Il s’était tu et reprenait bruyamment son souffle. Il grelottait. S’il s’évanouissait…
« Adam ! criai-je. Je vous en prie ! Descendez ! Votre mère est terriblement bouleversée ! »
Il abaissa les yeux vers moi, puis parcourut la foule du regard. « La fin du monde est proche ! hurla-t-il. L’Antéchrist est parmi nous ! Si vous ne reniez pas Satan pour venir à Jésus, vous allez tous brûler ! Brûler !
— Vas-y, perroquet, répète ta leçon ! lança quelqu’un d’un ton moqueur.
— Guéris le bras du bossu, comme Jésus a guéri les malades ! Fais-nous un miracle ! »
J’étais à la fois furieux et désespéré. Il était impossible de communiquer avec Adam. Autant parler à un mur. Les évangélistes exaltés n’écoutaient jamais, se contentant de vociférer, et si vous ne considériez pas leurs propos comme la parole divine, ils vous condamnaient, au nom de Dieu, aux tourments éternels, sans autre forme de procès.Adam était certes fou, mais sa folie venait de sa croyance. Telle celle du meurtrier, sans doute, lequel, non content d’annoncer le verdict sanguinaire de Dieu, le mettait en œuvre. Je saisis mon bras qui m’élançait, me sentant totalement impuissant.
J’entendis un murmure dans mon dos. À coup d’épaule des hommes se frayaient un passage à travers la foule. Mon cœur défaillit en apercevant des piques dressées. Un instant plus tard, en robe et bonnet noirs, entouré de gardes, Bonner fit son apparition. Laissant les Kite, Meaphon et moi en première ligne, la foule s’écarta devant l’évêque, petit, trapu, puissant. L’autre pasteur se fondit dans la foule, tandis qu’au-dessus de nos têtes Adam s’était mis à déclamer des passages de l’Écriture parmi lesquels je reconnus un fragment tronqué de l’Apocalypse. « Quant aux peureux, aux incrédules, aux fornicateurs et aux sorciers, leur part est dans l’étang brûlant de feu et de soufre… »
« Cessez ce blasphème ! » tonna Bonner. La foule se tut et même Adam cligna des yeux et s’interrompit. Vu de près, sous le bonnet noir, le visage de l’évêque était tout rond, jovial, mais ses yeux sombres luisaient de colère.
« Papiste ! » cria une voix. Bonner se retourna avec fureur, mais au milieu de cette foule dense il était impossible de déterminer qui avait lancé l’invective. L’évêque me foudroya du regard. « Qui êtes-vous, monsieur l’avocat ? Faites-vous partie de sa famille ? Et vous, monsieur…, poursuivit-il en s’adressant à Meaphon, qui tressaillit. Ah si ! je vous reconnais, vous êtes le chef d’un groupe de schismatiques écervelés. »
J’avais entendu parler des accès de fureur de Bonner. Une fois que ses violentes colères s’étaient déclenchées, elles ne se calmaient pas facilement. « Hérétique ! » lança-t-il à Meaphon en plein visage. Le clerc frémit, son courage faiblissant manifestement. « Ce n’est pas sa faute, monsieur, déclara bravement Daniel Kite. Il a tenté de faire taire Adam. C’est notre fils. Il est fou, monsieur, fou à lier… »
Adam avait repris la parole. « Dieu est le juge de tous, Jésus viendra l’épée à la main. » Bonner se tourna vers les soldats. « Montez par le corps de garde et faites-le redescendre. S’il tombe, ce ne sera pas une grande perte. »
Les soldats s’approchèrent du mur, puis s’arrêtèrent, regardant en l’air. Un murmure parcourut la foule au moment où trois hommes sortirent d’une fenêtre élevée du corps de garde et montèrent sur le mur. C’étaient Guy, Barak et Piers. Ils avançaient lentement le long du mur, Barak et Piers tendant les bras pour garder l’équilibre, suivis de Guy qui marchait bien
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