Prophétie

maître ?
    — Non. Pas encore. Mais ça ne saurait tarder. »
    Je quittai l’écurie. Une fois dehors, je me mordis les lèvres. Et s’il s’enfuyait ? Non, aucun risque, surtout pas après la promesse d’une autre place. Il savait quelque chose, et, une fois qu’il se serait remis du choc, le faire parler serait plus facile.
    « Messire Shardlake ! lança de nouveau Harsnet d’une voix impatiente depuis le seuil de la porte.
    — J’arrive ! »
    Laissez venir à moi les petits enfants, pensai-je avec amertume.
     
     
    Je rejoignis Harsnet. Lui et Barak avaient déjà fait quelques pas dans la rue et contemplaient l’église.
    « Comment le meurtrier connaissait-il l’existence de la catin ? Je vais faire subir un interrogatoire serré à la fille et au domestique, mais je ne pense pas qu’ils sachent quoi que ce soit, soupira-t-il. Et le gamin ?
    — Il n’a parlé d’Abigail à personne. Je lui ai dit que je reviendrais le voir demain, quand il se serait un peu rasséréné. Il va se retrouver sans place. Je lui ai promis de l’aider à en trouver une. »
    Il me regarda avec curiosité. « Où donc ?
    — Je ne sais pas encore.
    — J’espère que vous y réussirez. Car, autrement, il deviendra un mendiant de plus, crevant de faim dans la rue et menaçant l’ordre public. » Il secoua la tête. « Ah, si l’on pouvait s’occuper d’eux et les amener à Dieu ! » Sa colère paraissait s’être calmée.
    « Mon ami Roger lançait une souscription parmi les avocats pour la construction d’un hospice pour indigents.
    — Parfait, fit-il. C’est une nécessité. Et on a également besoin de prédicateurs. Les gueux sont totalement dépourvus de la crainte de Dieu. Je m’en suis aperçu dans mon travail.
    — Ce sont des parias.
    — Comme Notre-Seigneur et ses disciples. Mais ils avaient la foi.
    — Ils pensaient à l’avènement d’un monde meilleur.
    — C’est ce qui va se passer », affirma-t-il d’un ton serein. Il me sourit. « Veuillez excuser ma colère de tout à l’heure. Vous viendrez toujours dîner demain ?
    — Bien sûr.
    — Yarington avait-il de la famille ? Je vais interroger les domestiques à ce sujet. » Il se tourna vers les gardes qui venaient d’apparaître sur le seuil. Abigail et Toby s’affalaient entre eux deux, terrorisés. « Il faut que je les accompagne, dit Harsnet en s’éloignant, après un bref salut.
    — Je préfère être à ma place qu’à la leur ! » déclara Barak, comme on les emmenait.

25
    B arak et moi gagnâmes Chancery Lane à pied . J’étais épuisé et les points de suture de mon bras tiraient et m’élançaient.
    « Nous devrions dormir quelques heures, dit Barak, qui, dans la lumière lunaire, paraissait lui aussi exténué. Demain, il y a l’audience concernant Adam Kite, puis Smithfield avec Harsnet et ensuite le doyen », soupira-t-il.
    Nous poursuivîmes notre chemin en silence durant un certain temps. « Comme ça, ce pauvre crétin de Yarington était un débauché, hein ? reprit-il de son ton moqueur habituel, peut-être soulagé d’avoir affaire à nouveau, après l’horrible scène de l’église, à de banales faiblesses humaines.
    — Oui. Et le tueur l’avait découvert.
    — Comment ?
    — Je n’en ai aucune idée. Si on résout ce mystère, on a de bonnes chances de lui mettre la main au collet.
    — Qu’allez-vous faire maintenant ?
    — Impossible à dire. Comme l’a fait remarquer Hertford, la cinquième prophétie est très vague.
    — Que pensez-vous qu’ils dissimulent… Lockley et le doyen ? Ils cachent quelque chose.
    — En effet. Il nous faudra le découvrir demain.
    — Pensez-vous qu’ils appartenaient à quelque foyer de sodomites ? Les monastères grouillaient de ces créatures répugnantes.
    — Je n’en sais rien. En tout cas, Lockley ne m’a pas donné l’impression d’avoir ce genre de tendance.
    — Les apparences sont parfois trompeuses…
    — Voilà, semble-t-il, que tu dénonces le péché aussi farouchement que Harsnet… »
    Il fit un large sourire. « Seulement les péchés que je n’ai aucune envie de commettre moi-même ! admit-il, son sens de l’humour réapparaissant soudain. Ceux-là sont toujours plus faciles à dénoncer. »
    Nous arrivâmes à Chancery Lane. « Avant toute chose, il faudra quej’aille revoir le jeune Timothy », dis-je d’un ton las. Par une fenêtre, je vis une lampe se lever. Orr,