Prophétie

l’année dernière se gâte rapidement, déclara-t-il.
    — Je vais demander à Peter d’ouvrir un autre tonneau. Elles seront plus fraîches.
    — Votre bras va mieux ?
    — Oui, depuis aujourd’hui.
    — Le jeune Piers a donc fait du bon travail. »
    Je tirai vers moi la miche de pain. « Tamasin n’est toujours pas levée ?
    — Elle vient tout juste de sortir du lit. Elle devient paresseuse. » Mon regard le fit rougir. « Ses tuméfactions désenflent, ainsi que sa bouche, mais elle préfère ne pas paraître en public. Elle ira mieux dans un jour ou deux. Elle ne décolère pas contre l’arracheur qui lui a demandé de lui vendre ses dents.
    — Elle aurait pu être tuée, dis-je avec gravité. Et cela à cause de notre travail. De mon travail. »
    Il posa le trognon de sa pomme, demeura silencieux quelques instants, puis déclara : « Je déteste ce travail, la traque de ce fou, ou de ce possédé du diable ! De cet individu, quel qu’il soit. Je suppose que j’ai passé mes nerfs sur Tamasin, expliqua-t-il en s’agitant sur son siège.
    — Pourquoi donc ? fis-je d’une voix calme.
    — Parce qu’elle est là, je suppose. Ce n’est pas une façon de traiter son épouse, j’en conviens.
    — Veux-tu toujours la garder pour épouse ? demandai-je du même ton.
    — Évidemment ! » s’écria-t-il en me fusillant du regard. Étais-je allé trop loin ? Mais il secoua la tête en soupirant. « Je sais que je me suis conduit en goujat, reprit-il en passant ses doigts dans ses cheveux bruns emmêlés. Il arrive qu’on adopte une certaine conduite et ensuite on a du mal à en changer. » Il soupira de nouveau. « Mais quand tout sera terminé, j’ai décidé de quitter la Vieille Barge et de chercher près de Lincoln’s Inn une agréable petite maison à louer.
    — Voilà une merveilleuse nouvelle ! m’exclamai-je en souriant. Tamasin sera enchantée.
    — Et je vais rester davantage à la maison, passer moins de temps dans les… euh… tavernes. » Son hésitation me fit me demander si les soupçons de Tamasin avaient été fondés et s’il voyait d’autres femmes.
    « Tu lui en as parlé ?
    — Nenni ! Je vais attendre que les choses se soient un peu calmées.
    — Tu devrais le lui annoncer dès maintenant. »
    Il se renfrogna et je compris que j’avais dépassé les bornes. « Je le ferai quand je le jugerai bon, rétorqua-t-il. Je vais aller m’habiller, puis je demanderai à Peter de seller Sukey et Genesis », ajouta-t-il en se levant et en se dirigeant vers la porte.
    Le nom de Peter me rappela ma promesse au jeune Timothy. Je mangeai du pain et du fromage, puis, glissant une pomme dans ma poche, me rendis à la cuisine. J’y trouvai Joan et Tamasin. Assise à la table, la jeune femme était en train d’éplucher des légumes pour le dîner du soir. Ses tuméfactions avaient certes un peu désenflé, mais la peau était toujours affreusement noir et violacé, et le visage toujours bouffi. Joan leva les yeux et me sourit, tandis que Tamasin portait la main à son visage pour le cacher.
    Penchée au-dessus d’un baquet de bois, Joan faisait la lessive, pétrissant le linge trempé, le visage empourpré sous son bonnet blanc. Elle approche de la soixantaine, me dis-je, soudain honteux. Son défunt mari avait jadis été mon intendant et, à sa mort, quinze plus tôt, jel’avais gardée comme gouvernante. Malgré la différence d’âge, c’était une pratique inhabituelle dans la maison d’un célibataire, mais j’avais toujours apprécié ses manières calmes et maternelles. J’avais pensé lui demander si des voisins avaient besoin d’un serviteur de plus, or, la veille, une nouvelle idée m’avait traversé l’esprit. « Joan, pourriez-vous utiliser ici les services d’un gamin ? » lui demandai-je.
    Elle réfléchit quelques instants. « Entre l’écurie et sa tâche de marmiton, Peter a énormément de travail. Pourtant, je ne sais pas comment il réagirait si on engageait un second petit valet », dit-elle en souriant d’un air las.
    Je lui rendis son sourire. « Ce gamin est plus jeune que lui. Nous indiquerions clairement que Peter a le pas sur le nouveau venu. Je dois toutefois m’entretenir encore un peu avec le gamin.
    — Ce serait une bonne idée d’engager quelqu’un, monsieur.
    — Eh bien, je vais voir ce que je peux faire aujourd’hui même.
    — Je vous remercie », dit-elle d’un air soulagé. Elle