Prophétie

de la présence de la fille », dis-je.
    Il se redressa brusquement sur son siège. « Je vous le répète : je n’en ai parlé à personne…
    — Qui d’autre aurait pu le savoir ? demanda Harsnet. Qui venait ici ?
    — S’il avait des affaires à traiter, il donnait rendez-vous aux gens à l’église. À part moi, personne n’entrait dans la maison. C’est moi quifaisais tout le ménage. Lorsque je sortais, j’ordonnais à Timothy de dire aux visiteurs de revenir plus tard. Il n’est pas bête et savait très bien comment réagir. »
    Harsnet se remit sur pied. « Venez avec moi, maître White. Vous et la fille allez passer la nuit dans la tour des Lollards. Peut-être cela vous rafraîchira-t-il la mémoire… Jacobs ! » appela-t-il. L’un des gardes entra. Toby le regarda avec frayeur.
    « Je n’ai rien fait ! s’écria-t-il, sa voix montant de plusieurs tons.
    — Vous n’avez donc rien à craindre », répliqua Harsnet, tandis que le garde aidait le vieil homme à se mettre debout.
    Je me levai à mon tour. « Je crois que je vais aller interroger le garçon d’écurie.
    — Excellente idée ! »
    Je me dirigeai vers une petite cour située sur le côté de la maison. La flamme d’une bougie vacillant dans l’embrasure d’une porte ouverte me conduisit à l’écurie. Assis sur un seau retourné, le gamin s’appuyait contre le flanc d’une grosse jument grise qu’il caressait. J’aperçus une grossière paillasse dans un coin. Il leva vers moi des yeux terrifiés, son visage sale sillonné de traces de larmes. J’eus un pincement au cœur, comme chaque fois que je voyais des enfants malheureux et solitaires.
    « Tu t’appelles bien Timothy ? demandai-je avec douceur.
    — Oui, m’sieu, chuchota-t-il. M’sieu, il paraît que le maître est mort ? C’est un méchant homme qui l’a tué ?
    — Je le crains.
    — Qu’est-ce qui arrive à maître Toby ?
    — Il va accompagner le coroner. J’aimerais te poser quelques questions.
    — Oui, m’sieu ? » Malgré mon ton doux et rassurant, il avait toujours l’air apeuré. Rien de surprenant à cela, après la brusque irruption d’un groupe d’inconnus dans la maison à près de minuit.
    « Tu connais Abigail, la fille qui habite ici ? »
    Il resta coi.
    « On t’avait demandé de garder sa présence secrète ? Ça n’a plus d’importance à présent.
    — Toby m’avait dit que le maître me battrait si je parlais d’elle. Le maître m’a battu une fois parce que j’avais juré. Mais j’en aurais pas parlé, m’sieu, elle était gentille avec moi, même si Toby disait que c’était une grande pécheresse. M’sieu, qu’est-ce qui va arriver à Abby ? Est-ce que tout ira bien pour elle ? »
    Pas si Harsnet a le dernier mot, pensai-je. Je pris une profonde inspiration. « Tu n’en as parlé à personne ? Tu ne seras pas puni si tu dis la vérité.
    — Non, non ! Je le jure ! Sur la Bible, m’sieu. Sur la Bible, si vousvoulez. J’ai parlé d’elle à personne. J’étais content qu’elle soit là. Elle était bonne avec moi. Cet hiver, elle m’a quelquefois donné des pennies, m’a laissé m’asseoir près du feu quand le maître et Toby étaient sortis. Elle disait qu’elle aussi avait connu le froid et la faim. » Ses yeux s’emplirent à nouveau de larmes. Je compris qu’il n’avait reçu aucune bonté de la part de Yarington ni de Toby. Seulement de la part de la catin.
    Je devinai qu’il y avait autre chose, quelque chose qu’il cachait, car il avait peur. Mais, si j’informais Harsnet de mes soupçons, le gamin serait traîné avec les deux autres à la prison de l’archevêque. Et cette idée me révoltait. Je n’en ferais donc rien.
    « Messire Shardlake ! » appela Harsnet. Le cri fit sursauter le gamin.
    « Il faut que je m’en aille, Timothy, dis-je. Mais je viendrai te revoir demain. Tu vas te retrouver sans travail, maintenant que ton maître est mort. Toby dit que tu n’as plus de famille.
    — C’est vrai, m’sieu. Va falloir que je me fasse mendiant, renifla-t-il.
    — Eh bien, je vais essayer de te retrouver une place. Je te promets de revenir demain et on parlera encore un peu, d’accord ? Bon. Maintenant ferme la porte de l’écurie et rendors-toi…
    — J’ai dit la vérité, m’sieu ! J’ai parlé à personne d’Abigail.
    — Oui. Je te crois.
    — Est-ce que les sergents ont attrapé l’homme qui a tué le