Prophétie
que nous tend le diable pour nous faire choir ! fit-il.
— La chair est faible, répliquai-je impatiemment. Il en sera toujours ainsi.
— Vous êtes un cynique, messire Shardlake. Un homme de peu de foi. Un vrai laodicéen. »
Je haussai les sourcils. « Cette formule est tirée de l’Apocalypse. »
Il cligna les yeux, fronça les sourcils, puis leva la main. « Désolé. Je suis… affecté par ce qu’on a vu ce soir. Vous rendez-vous compte cependant que si Yarington n’avait pas entretenu cette putain il ne serait pas mort ? Il a été tué en punition de son hypocrisie, n’est-ce pas ?
— Oui. C’est mon avis. »
Il ferma les yeux d’un air las, puis me fixa du regard. « Pourquoi l’avez-vous interrogée sur Elizabeth la Galloise ?
— C’était le surnom de la catin de Tupholme, le maraîcher. Je me suis demandé si le meurtrier aurait pu obtenir des renseignements par l’intermédiaire d’un bordel. Sur les deux fornicateurs punis de mort. Il est désormais clair que Yarington correspond au portrait type de ses victimes.
— En effet. Je vais découvrir de quel lupanar vient la donzelle, affirma-t-il, les traits crispés.
— Ne la brusquez pas, je vous en prie. La violence ne servirait à rien en la circonstance.
— Nous aviserons », grogna-t-il.
Toby, le majordome, était assis dans la cuisine, en compagnie d’un gamin haillonneux d’une dizaine d’années, aux cheveux bruns emmêlés, aux pieds marron de crasse, et qui sentait l’écurie. Il nous fixait, les yeux écarquillés de peur.
« Qui est-ce ? demanda Harsnet.
— Timothy, monsieur, le garçon d’écurie, dit Toby. Lève-toi devant tes supérieurs, stupide petit merdeux ! » Les jambes flageolantes, le gamin se mit debout.
« Laisse-nous, petit », dit Harsnet. Le gamin s’en alla en courant.
« Eh bien ! railla Harsnet. C’est comme ça que vous êtes tout seul dans la maison !
— Il me payait grassement pour taire la présence de la fille, expliqua Toby d’un ton revêche.
— Vous avez été complice d’un péché.
— Tout le monde en commet.
— Qui d’autre était au courant ? demandai-je.
— Personne.
— Des gens ont bien dû voir la fille aller et venir.
— Il ne la laissait sortir qu’après la tombée de la nuit. C’était assez facile en hiver, car elle n’avait de toute façon aucune envie de courir dans la neige et la glace, mais je me demandais comment il pourrait garder le secret, à présent que le printemps est arrivé et que les jours allongent. Il avait sans doute l’intention de la vider bientôt. » Il fit un sourire narquois qui révéla des chicots jaunâtres. « Il avait une bonne excuse pour empêcher les gens d’entrer chez lui : ses précieux exemplaires de Luther et maintenant le livre du nouveau venu, le dénommé Calvin.
— Depuis combien de temps étiez-vous à son service ? demanda Barak.
— Cinq ans. » Ses yeux s’étrécirent. « J’étais payé pour être un serviteur loyal, pas pour juger les actes de mon maître. J’ai fait mon travail… Comment est-il mort ? reprit-il, après un instant de silence. On l’a dévalisé ? Ces jours-ci, on a du mal à marcher dans les rues de Londres à cause des mendiants robustes.
— C’est bien vrai », acquiesça Harsnet d’un ton neutre.
Toby hocha la tête d’un air triste, mais j’avais l’impression qu’il n’éprouvait guère d’affection pour son maître.
« C’est donc dans un lupanar qu’il avait trouvé la fille ? »
Il haussa les épaules. « Il s’y rendait souvent, je pense. Le plus drôle, c’est qu’on aurait pu penser que la présence d’Abigail l’aurait rendu plus heureux, mais il a dénoncé les pécheurs avec encore plus de véhémence. Il avait mauvaise conscience, je suppose. Les dévots sont des gens bigrement bizarres, je trouve. Moi, je n’assiste qu’aux offices décrétés obligatoires par le roi.
— Et le gamin ? Il devait être au courant de sa présence ici.
— Je lui ai donné l’ordre de se taire, sous peine de perdre sa place. Il n’aurait pas osé désobéir. Il est orphelin et il se serait retrouvé sur le pavé s’il avait été mis à la porte. Le maître l’a gardée bien cachée. Si les marguilliers avaient découvert le pot aux roses, il aurait été défroqué, ajouta-t-il en faisant le même sourire narquois.
— Nous avons des raisons de croire que son meurtrier était au courant
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