Prophétie
d’ici !
— Je pourrais vous faire arrêter et vous faire subir un interrogatoire serré, dis-je sans hausser le ton.
— Eh bien, ne vous gênez pas ! Je m’en fiche complètement désormais ! Allez tous vous faire voir ! Je retourne à mes clients ! » lança-t-il en prenant le chemin de la porte. Barak fit mine de lui barrer la route, mais je secouai la tête. Lockley s’en alla, se déplaçant lestement pour un homme de sa corpulence. Mame Bunce hésita avant de nous regarder d’un air suppliant.
« L’esprit de Francis chancelle, monsieur, dit-elle. Il dit la vérité. Toute sa vie, il a été harcelé par des gens qui pensent qu’ils valent mieux que lui.
— Comme la plupart d’entre nous, répliqua sèchement Barak.
— Mais Francis n’a pas la force de le supporter. Ça l’affecte. J’ai essayé de l’aider, mais il me semble que ç’a fini par lui faire voir en moi une autre… persécutrice. Alors que c’est pas le cas… Je l’aime, précisa-t-elle avec tristesse.
— Très bien, mame. Laissez-nous.
— On devrait l’arrêter, dit Barak après son départ.
— Harsnet nous a demandé de n’en rien faire, soupirai-je. Nous lui raconterons la scène. Je suppose qu’il enverra des gardes ce soir, lorsque la taverne aura fermé ses portes.
— Serait-il notre homme ? La plupart des gens seraient terrifiés à l’idée d’être arrêtés, mais ça ne semble guère l’impressionner. Sa femme dit qu’il n’a pas toute sa tête.
— Non. Gérer une taverne est un travail à plein temps. Il n’aurait pas pu faire ce que le meurtrier a fait sans que mame Bunce s’en rende compte. Et je ne peux pas l’imaginer en train de tuer Roger et les autres. Ça me paraît réellement invraisemblable.
— On ne sait jamais.
— Si c’était lui le meurtrier, penses-tu qu’il se laisserait prendre vivant ? Non… Laissons Harsnet se charger de lui ! »
27
N ous décidâmes de regagner directement Westminster depuis Smithfield, car cela prendrait moins de temps que de ramener les bêtes à la maison puis de prendre un bachot. Après avoir chevauché le long de Holborn, nous débouchâmes en pleine campagne et prîmes un raccourci à travers champs pour atteindre Drury Lane. Deux lièvres se bagarraient dans les champs, faisant des bonds dans tous les sens. « Le printemps est vraiment arrivé, dit Barak.
— C’est vrai. Et pourtant, ces derniers temps j’ai toujours froid, comme si l’hiver s’était attardé en moi. »
Comme nous pénétrions dans Westminster, à cause du bruit, des odeurs et des risques encourus, mon cœur se fit plus lourd. Dans le Sanctuaire – le lieu d’asile – sous l’ancien clocher, un groupe de gitans avait placé une table devant une toile aux couleurs éclatantes, ornée de la lune et des étoiles. Deux hommes jouaient de la flûte pour capter l’attention des passants, tandis qu’assise derrière la table une vieille femme tirait les cartes. Barak s’arrêta pour regarder, et il est vrai qu’avec leur visage presque aussi basané que celui de Guy et leurs costumes féeriques – turbans brodés, longues écharpes aux vives couleurs – les gitans formaient un surprenant tableau. Si ces pittoresques nouveaux arrivants sur nos rivages avaient été chassés par le roi quelques années plus tôt, un grand nombre d’entre eux avaient réussi à s’échapper et certains s’étaient réfugiés dans le Sanctuaire. Ils paraissaient faire de bonnes affaires, même si, brandissant une bible, un homme vêtu de noir se tenait à la lisière de la foule et vitupérait ces pratiques païennes. Mais personne ne lui prêtait attention, l’esprit religieux n’étant pas le point fort du Sanctuaire.
« Continuons ! lançai-je en promenant sur la foule un regard anxieux. Je n’ai pas l’intention de rester là et de servir de cible. »
Barak opina du chef et tira sur les rênes de Sukey. Nous passâmes devant le prédicateur. « Malheur aux suppôts de Satan ! » menaçait-il.
Nous pénétrâmes dans l’enceinte sud. Nous avions vu au clocher de Palace Yard que notre rendez-vous avec Harsnet n’était prévu qu’une bonne heure et demie plus tard. Nous prîmes la direction de la maison de Cantrell. Dans un coin, à deux pas, une meute de chiens affamés fouillaient dans un gros tas d’ordures. Nous mîmes pied à terre et je cognai contre la porte, surmontée de l’enseigne aux couleurs passées, tandis
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