Prophétie
bière. Lockley et mame Bunce étaient très occupés, celle-ci passant les consommations à travers le guichet pendant que son compagnon allait de table en table et qu’un vieil homme ramassait les chopes.
Au moment où nous entrâmes, les clients nous dévisagèrent avec curiosité. Nous ayant aperçus, Lockley échangea un coup d’œil avec la veuve. « Nous souhaiterions vous parler à nouveau, monsieur, lançai-je à voix haute.
— Venez derrière », répondit-il à voix basse, d’un ton rageur. Les clients nous regardèrent avec intérêt tandis que nous suivions Lockley dans l’arrière-salle où nous rejoignit bientôt mame Bunce. C’était une pièce lugubre, meublée seulement d’une table éraflée et de quelques tabourets.
Je décidai que ce n’était pas une mauvaise idée de lui permettre d’assister à l’entretien : elle pouvait laisser échapper quelque chose.
« Qu’est-ce que vous me voulez ? » fit Lockley. Cette fois-ci, le ton était bougon et hostile. Il serrait les poings et ses yeux enfoncés dardaient sur nous un regard pénétrant.
« Allons, allons, tavernier ! l’apostropha Barak. On ne parle pas sur ce ton à un envoyé du coroner de Sa Majesté. »
Lockley soupira, haussa les épaules et s’assit à la table, tandis que mame Bunce restait debout près de lui. « Que voulez-vous ? demanda-t-il d’une voix plus calme.
— Nous n’avons toujours pas retrouvé le chef infirmier Goddard.
— Que la peste soit de lui !
— Êtes-vous certain de n’avoir aucun renseignement sur lui qui pourrait nous être utile ?
— La dernière fois, je vous ai dit tout ce que je savais. Goddard ne s’intéressait pas à l’infirmerie laïque. Il raillait mon ignorance, mais me laissait traiter les patients tout seul. Je devais tout faire moi-même. Pour lui, les patients de l’infirmerie laïque étaient un simple fardeau.
— Et ceux de l’infirmerie des moines ? Ceux dont s’occupait le jeune Cantrell ?
— Goddard était forcé de mieux s’en occuper, sinon la communauté lui aurait demandé des comptes. Il surveillait de près le jeune Cantrell, lui a fait porter des lunettes quand il est devenu évident qu’il avait une mauvaise vue.
— Je vous répète que nous enquêtons sur un meurtre. Il est possible, selon nous, que Goddard ait commis un assassinat.
— De quelle façon ?
— Je n’ai pas le droit de le révéler. Je dirai seulement qu’il s’agit d’une violente agression. »
Lockley eut l’air soulagé, me semble-t-il. Il émit un rire de mépris. « Goddard n’attaquerait jamais quelqu’un violemment. C’était un homme froid, un paresseux qui n’était jamais là quand on avait besoin de lui. Et il roulait sur l’or, ça je le sais. Pourquoi commettrait-il un meurtre ? »
Je hochai lentement la tête. « Je vois bien que vous êtes sincère à ce sujet… Mais je pense que vous me cachez quelque chose d’autre, ajoutai-je en le regardant droit dans les yeux. Quelque chose concernant Goddard. Je vous conseille de me dire de quoi il s’agit. »
Lockley serra plus fort ses poings posés sur la table. C’étaient des poings puissants, massifs, rendus calleux par des années de dur labeur. Il s’empourpra.
« Allez-vous me fiche la paix ! » s’écria-t-il soudain. Je sursautai et vis la main de Barak se poser sur la poignée de son épée. « Je ne sais rien… Rien ! Toute ma vie, j’ai été harcelé, harcelé, harcelé ! Par les patients, par Goddard, par ce misérable barbier-chirurgien et sa fichue Église qui me disaient que j’étais damné ! Et maintenant par vous ! » Il se tourna vers mame Bunce, la foudroya du regard, avant d’enfouir sa tête dans ses mains. « Je ne sais plus où j’en suis ! » gémit-il.
Surpris par cet éclat infantile, je regardai Barak. Ethel Bunce pinçait les lèvres, mais j’aperçus des larmes dans ses yeux.
« Que cachez-vous, maître Lockley ? demandai-je d’une voix calme. Dites-le-nous et peut-être cela va-t-il vous remettre les idées en place.
— Il ne sait rien, monsieur, j’en suis sûr, dit mame Bunce. Vous auriez dû voir dans quel état il se trouvait quand je l’ai rencontré.Saoul du matin au soir et dépensant le peu d’argent qui lui restait. Il n’est pas aussi fort qu’il en a l’air… » Lockley se mit brusquement sur pied, envoyant la chaise dinguer derrière lui. « Sortez, tous les deux ! Fichez-moi le camp
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