Prophétie

toute la matinée.
    — Il est bien loin du centre. Je ne crois pas qu’il puisse trouver beaucoup de chalands par ici.
    — Ces temps-ci, tant d’hommes sans travail se sont faits colporteurs qu’on en voit partout.
    — En effet. » Me réjouissant de sa présence, j’entrai à l’intérieur. J’appréciais son grand sérieux, son caractère consciencieux. Sa forte présence découragerait notre redoutable visiteur de recommencer à nous faire du mal.
    Tout était calme dans la maison. Je me dirigeai vers l’escalier, mais,percevant un bruit confus derrière la porte de la cuisine, je m’arrêtai sur la première marche. Une femme pleurait. J’allai ouvrir la porte à pas de loup.
    Assise à la table, Tamasin poussait de déchirants sanglots. Joan était assise à côté d’elle, un bras passé autour de ses épaules. Derrière elles, debout dans la cour, le nez pressé contre la vitre, j’aperçus Peter et Timothy, les deux gamins. Je les chassai d’un geste. Ils tournèrent les talons et déguerpirent.
    « Que s’est-il passé ? » demandai-je.
    Tamasin releva la tête et me fixa. Les tuméfactions avaient presque disparu, mais son visage était rouge et ruisselant de larmes. Voilà un bon bout de temps qu’il n’avait plus l’air normal…
    « Ce n’est rien, répondit-elle.
    — Mais si, il y a bien quelque chose ! m’écriai-je, conscient de mon ton agacé.
    — Juste une petite brouille entre entre elle et Jack, expliqua Joan.
    — Il est revenu saoul, il y a une heure, expliqua Tamasin. Il est entré en coup de vent dans la chambre et, quand je lui ai demandé ce qui n’allait pas, il m’a grossièrement insultée. Je ne vais pas supporter ça encore longtemps ! s’exclama-t-elle d’un ton farouche.
    — Je vais aller lui parler, déclarai-je, en me renfrognant. Je refuse qu’il revienne saoul chez moi. »
    Je quittai la pièce et montai à l’étage, furieux contre Barak et aussi contre moi-même. J’avais essayé d’aider la jeune femme, mais sans succès.
    Barak était assis sur un tabouret près de leur lit. Quand il releva la tête, il avait lui aussi le teint rouge, mais à cause de l’alcool. « Ne commencez pas ! lança-t-il.
    — Chez moi, je dirai ce qu’il me plaît. Est-ce ainsi que tu tiens ta promesse de te rabibocher avec Tamasin ?
    — Mêlez-vous de vos affaires ! marmonna-t-il.
    — Ce sont mes affaires, si tu lui causes du chagrin. Où étais-tu ?
    — En ville. J’ai bu avec de vieux copains.
    — Tu ne buvais jamais ainsi avant. Pourquoi maintenant ? Toujours à cause de la mort de l’enfant ? » ajoutai-je d’une voix plus douce.
    Il resta coi.
    « Eh bien ?
    — J’en ai assez de cette histoire. Par-dessus la tête, si ça vous intéresse. Il pourrait frapper à nouveau ce soir. Nous n’avons que des bribes d’indices, rien que des bribes.
    — Je sais, acquiesçai-je d’un ton plus calme. J’ai la même impression que toi. Mais tu n’as pas le droit de passer tes nerfs sur Tamasin.
    — Je n’ai rien fait de tel. Je rentre ici et elle se met à me reprocherd’être ivre, reprit-il en haussant encore le ton. Je l’ai priée de me fiche la paix et quand elle a continué à m’enguirlander, je l’ai traitée de tous les noms. Elle ne sent pas quand elle doit me laisser tranquille.
    — Tu aurais pu lui expliquer ce qui te tracasse.
    — Quoi ? Lui expliquer que le type qui l’a agressée court toujours les rues, qu’on ne sait fichtre rien et qu’on attend qu’il commette un nouveau meurtre ? Qu’il nous attaque une nouvelle fois… J’ai horreur de me sentir à ce point impuissant. J’aimerais qu’on lui mette la main au collet, conclut-il en secouant la tête.
    — Je crois que tu devrais dormir. Et quand tu te réveilleras, excuse-toi auprès d’elle. Autrement, tu risques de la perdre.
    — Peut-être que l’un des démons de Harsnet s’est emparé de moi, dit-il d’un ton amer.
    — Sans doute. Il a dû sortir d’une bouteille. » Je quittai la pièce et refermai la porte.
     
     
    Étonnamment, je dormis très bien cette nuit-là. Comme si le fait de pester contre Barak m’avait libéré de ma frustration et de ma rage. Comme je m’apprêtais à me coucher, il se mit à pleuvoir à verse et je m’endormis en écoutant la pluie tambouriner contre la vitre. Je me réveillai de bonne heure. Le ciel était toujours nuageux, mais la pluie avait cessé pour le moment. Elle avait dû tomber