Prophétie
toute la nuit, car de grosses flaques s’étaient formées dans l’allée du jardin, sous ma fenêtre.
La maison était toujours plongée dans le calme. Barak et Tamasin semblaient encore couchés. Avaient-ils réussi à se réconcilier ? Vu l’état d’esprit de Barak, la veille, j’en doutais. Cela m’avait fait tout drôle de le réprimander. Voilà déjà un certain temps que je le considérais davantage comme un ami que comme un subordonné.
En attendant de recevoir des nouvelles de Harsnet à propos de son enquête et de ses efforts pour faire pression sur le doyen Benson, j’avais du pain sur la planche à Lincoln’s Inn. Mais, avant tout, il fallait que j’aille rendre visite à Dorothy. Comment les choses se passaient-elles pour elle, maintenant que Samuel était reparti ? J’aurais aimé pouvoir lui donner de bonnes nouvelles concernant notre enquête sur le tueur. J’entendis Joan parler à Orr dans la cuisine, mais ne souhaitant pas être embarqué dans une discussion avec elle à propos de Tamasin et Barak et n’ayant pas non plus envie de prendre le petit déjeuner, je quittai la maison en douce. Je parcourus la courte distance me séparant de Lincoln’s Inn. Chancery Lane étant devenue un vrai bourbier, je me félicitai d’avoir enfilé mes bottes de cavalier.
À Lincoln’s Inn, la journée de travail avait déjà commencé, des avocats en robe noire sillonnaient Gatehouse Court, des dossiers sous le bras, et les eaux de la fontaine jaillissaient sous le ciel gris.
Margaret vint m’ouvrir et m’informa que sa maîtresse était en train d’étudier des papiers. « Comment va-t-elle ? demandai-je.
— Elle s’efforce de reprendre une vie normale, il me semble, monsieur. Mais ce n’est pas facile. »
Dorothy se trouvait dans le salon. Le teint pâle, elle me fit un triste sourire.
« Tu as l’air fatigué, me dit-elle.
— À cause de cette chasse à l’homme… Il court toujours. Ça fait déjà près de deux semaines, je sais.
— Tu fais tout ce que tu peux. » Elle se leva de son secrétaire, essuya sa plume et la posa près de ses papiers. « Viens donc. Cette affreuse pluie a enfin cessé. Veux-tu m’emmener faire une promenade à Coney Garth ? J’ai besoin de prendre l’air.
— Avec joie ! m’écriai-je, ravi qu’elle puisse s’intéresser à des activités aussi futiles. Il te faudra enfiler des bottes, car le sol est détrempé.
— Oui. Je vais aller les mettre. »
Elle me laissa au salon. Je me plaçai près de la cheminée, les animaux me dévisageant à travers les taillis de la frise de bois. Elle revint vêtue d’un manteau noir à capuchon et chaussée de grandes bottes de marche. Nous sortîmes du bâtiment et traversâmes Gatehouse Court. Des avocats nous saluèrent, nous jetant des coups d’œil à la fois curieux et gênés. Je notai qu’elle évita de regarder la fontaine.
Nous pénétrâmes dans la lande dénudée de Lincoln’s Inn Fields. Le meurtrier s’était enfui par là après avoir tué Roger. Tout près se dressait une butte tout en longueur et dont les flancs étaient troués de terriers de lapin. C’est là que les étudiants viendraient chasser leur dîner plus tard dans la saison. Nous suivîmes un chemin qui menait au sommet de la butte, le sol étant plus sec à cet endroit. Dorothy se taisait, l’air pensif.
« Samuel a dû déjà arriver à Bristol, dis-je.
— Oui. Il avait beaucoup insisté pour que je rentre avec lui.
— Il a également dit que tu refusais d’être chassée de chez toi.
— En effet. Je compte rester là jusqu’à l’arrestation du tueur. Et j’ai encore des affaires à régler ici. Messire Bartlett a eu la bonté de calculer la somme due à Roger pour les dossiers qu’il avait déjà traités. Et je ne suis pas esseulée. J’ai reçu la visite d’un grand nombre de personnes très gentilles… Tu te rappelles Mme Loder, poursuivit-elle avec un sourire triste, l’une des invitées à mon dîner du mois dernier. Elle est passée me voir, il y a deux jours. Je venais de l’installer sur des coussins et de lui donner un verre de vin lorsque, s’étant penchée enavant, ses fausses dents sont tombées dans son giron. Elle était affreusement gênée, la pauvre femme ! s’esclaffa-t-elle. Elle a l’intention d’enguirlander l’arracheur de dents qui a fabriqué son dentier. »
Ces paroles me rappelèrent l’expérience de Tamasin. Arrivait-il à Mme Loder de
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