Prophétie
revenir », dit-il, tandis que l’intendant s’éloignait à grandes enjambées, nous laissant attendre dans le vestibule.
Peu de temps après, nous entendîmes un bruit de pas dans l’allée du jardin, puis le doyen fit son entrée, tout haletant. Il nous foudroya du regard. « Que s’est-il à nouveau passé, lança-t-il. Pourquoi dites-vous que je suis en danger ?
— Pourrions-nous nous entretenir dans votre bureau ? demanda Harsnet.
— Fort bien. » Il poussa un soupir et, dans un bruissement de soutane, nous conduisit le long du corridor. Il se retourna après quelques pas, fixant Barak qui nous avait suivis, chargé des coffrets de Lockley. « Et vous avez l’intention de faire assister votre valet à un entretien avec moi ? me demanda-t-il avec hauteur.
— Cette fois-ci, Barak sera également présent », répondit Harsnet en regardant le doyen droit dans les yeux. Nous en avions décidé ainsi auparavant. « Il doit vous montrer quelque chose. »
Le doyen jeta un coup d’œil aux coffrets que portait Barak, haussa les épaules et continua son chemin.
Une fois dans le bureau, Harsnet parla au doyen du meurtre d’Ethel Bunce, de la disparition de Lockley et de l’effraction dont avait été victime Cantrell. « Vous voyez, monsieur le doyen, le tueur semble s’intéresser désormais aux personnes ayant eu un lien avec l’infirmerie.
— Et en quoi cela mettrait-il en péril ma sécurité ? » fit le doyen en fixant les coffrets que Barak tenait sur ses genoux. Il inspira vivement et je compris qu’il avait deviné leur contenu.
« Il existait un lien entre vous et eux, dis-je. En plus du simple fait que l’infirmerie des moines et l’hôpital laïc étaient placés sous votre responsabilité. Et je crois que c’est ce que vous dissimulez. »
Barak ouvrit les coffrets, révélant les râteliers. À la façon dont le doyen écarquilla les yeux et dont il s’affala contre le dossier de son fauteuil, je compris que mes soupçons étaient fondés.
« Laissez-moi vous expliquer ce qui s’est passé d’après moi, commençai-je d’un ton serein. Goddard administrait au patient du papaver, un soporifique puissant et dangereux qui le rend inconscientdurant une opération. Entre-temps, le port de fausses dents fichées dans des râteliers en bois est devenu une mode parmi les riches gens. Les dents proviennent en général de la mâchoire de jeunes gens en bonne santé, et il est préférable que la denture soit complète. Récemment, lorsque l’épouse de maître Barak a dû se faire extraire deux dents, l’arracheur lui a proposé de toutes les extraire en échange d’une belle somme.
— Puis-je savoir où vous voulez en venir ? » s’exclama le doyen avec colère. Mais son regard dérivait constamment vers les coffrets.
« Je ne sais pas si vous retournez souvent dans les parties désaffectées du monastère mais, à deux reprises, j’y ai rencontré un mendiant complètement édenté qui s’y introduit subrepticement et demande à tout venant si on sait où sont passées ses dents. Il est fou, bien sûr, mais quelle est la cause de sa démence ? Quelque opération qu’il aurait subie en ce lieu ? Peut-être ses dents lui ont-elles été arrachées alors qu’il se trouvait sous l’influence du papaver ? Peut-être a-t-on cherché à voir si elles s’adaptaient aux râteliers découverts dans le coffre de Lockley. L’une des raisons pour lesquelles les arracheurs de dents ont du mal à trouver des volontaires pour ce genre d’opération, même en échange de sommes considérables, c’est la douleur qu’elle implique. Peut-être les miséreux qui venaient à l’abbaye pour se faire soigner se voyaient-ils proposer une dose de papaver afin que l’opération soit indolore. »
Le silence se fit dans la pièce. Soudain, un sonore martèlement retentit à l’extérieur, faisant sursauter le doyen. Il prit son souffle et déclara : « Si Goddard et Lockley, voire Cantrell, se livraient à quelque trafic louche dans l’infirmerie, je n’étais absolument pas au courant. Et quel rapport cela a-t-il avec votre chasse à l’homme ?
— Nous avons besoin de connaître tous les éléments de l’affaire, monsieur le doyen. Et, vu la façon dont vous avez regardé ces coffrets, il paraît clair qu’il ne s’agit pas pour vous d’une révélation. »
Un second marteau se joignit au premier. Le doyen ferma les yeux. « Ce bruit,
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