Prophétie
murmura-t-il. Cet incessant vacarme… Comment suis-je censé réfléchir ? » Il rouvrit les yeux et nous regarda tous les trois.
« Félicitations, sergent royal Shardlake, déclara-t-il. Oui, vous avez raison. En 1539, il y a quatre ans, j’ai appris que Goddard invitait les patients de l’hôpital laïc à vendre leurs dents. La mode des fausses dents commençait à se répandre et il avait pris un accord avec un barbier-chirurgien de Westminster. Un certain Snethe, à l’enseigne de La Tumeur Sanglante. Il achète des dents, ainsi que d’autres articles », paraît-il. Il prit une profonde respiration, avant de poursuivre ses explications. « Lockley travaillait avec Goddard. Comme on savait déjà à l’époque que les monastères étaient condamnés, beaucoup demoines tentaient d’assurer leur sécurité financière de diverses manières. Ce fut là la méthode choisie par Goddard, afin de préserver sa position sociale si le monastère était dissous. Lockley, j’imagine, dépensait sa part du gâteau en boissons.
— Comment avez-vous entendu parler de ce trafic ?
— C’est le jeune Cantrell qui m’en a averti. Il travaillait dans l’infirmerie des moines et n’avait guère de rapport avec l’hôpital laïc, mais il a eu vent de ce qui s’y passait en entendant un jour discuter Goddard et Lockley. Goddard lui a enjoint de se taire, sous peine de représailles s’il les dénonçait. En outre, Cantrell soupçonnait qu’une ou deux des personnes endormies par Goddard et Lockley ne s’étaient jamais réveillées.
— La simple mention du nom de Goddard terrifie Cantrell, dis-je.
— Lord Cromwell, poursuivit Benson, m’avait ordonné de dénicher tout scandale permettant de forcer les moines à accepter la dissolution. Vous avez tous travaillé pour lui, vous ne pouvez donc pas jouer aux plus vertueux avec moi. Il m’a prié de les laisser continuer à agir à leur guise de manière à ce qu’on puisse leur tendre un piège si besoin était. Mais il préférait que le monastère soit fermé calmement, sans coup férir, et sans qu’il y ait le moindre esclandre, parce que c’était le désir du roi. Et j’y suis parvenu.
— Goddard savait-il que Cantrell l’avait dénoncé ?
— Non. Je ne lui ai jamais dit que j’étais au courant.
— Ainsi donc, d’autres patients ont pu mourir ? dit Harsnet.
— C’est possible. J’obéissais aux ordres de lord Cromwell. Comme vous le savez tous les trois, il n’était pas aisé de les enfreindre. » Il se pencha en avant, recouvrant une certaine confiance en soi. « Et le roi n’aimerait pas entendre parler d’un scandale à Westminster, même aujourd’hui. J’ai obéi à lord Cromwell parce qu’à l’époque il jouissait de tous les pouvoirs, même si je n’éprouvais aucune sympathie pour son extrême rigorisme en matière de religion. Mais je savais qu’un jour il dépasserait les bornes et que ses ennemis siégeant au Conseil privé causeraient sa chute. Et c’est ce qui s’est passé. Aujourd’hui, on revient enfin à des pratiques plus raisonnables.
— Ainsi donc, vous avez tourné avec le vent.
— Il vaut mieux tourner avec le vent que se balancer au bout d’une corde dans le vent, comme beaucoup en ont fait l’expérience… Le roi n’est pas au courant de cette affaire ? demanda-t-il en pointant un doigt grassouillet sur le coroner. À propos du tueur que vous recherchez, n’est-ce pas ? Je me suis livré à quelques investigations… extrêmement discrètes, n’ayez crainte. Le roi ne serait pas ravi d’apprendre que l’archevêque lui fait des cachotteries, surtout qu’en ce moment un grand nombre de voix s’élèvent contre celui-ci… Votre enquête bat del’aile, pas vrai ? fit-il en se tournant vers moi. Vous semblez pris dans un fichu pétrin, messire le bossu. Gardez-vous d’agacer le roi une deuxième fois ! »
Harsnet se tourna vers moi, sans répondre à Benson. « Quelles conclusions devons-nous en tirer ? Le meurtrier serait-il un de leurs anciens patients devenu fou ?
— J’en doute, dis-je. Il s’agissait de miséreux, totalement vulnérables. Toutefois il existe un lien, c’est obligé.
— C’est Goddard, dit Harsnet. Il choisit des victimes qu’il connaît… Nous avez-vous tout dit ? demanda-t-il au doyen.
— Absolument tout, désormais. Sur ma foi de doyen de Westminster.
— Pour ce que cela vaut, monsieur », répliqua Harsnet d’un
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