Prophétie
« Bienvenue à la maison des fous, dit-il en refermant la porte. Vous pensez pouvoir faire libérer Adam Kite ?
— Je l’espère.
— On sera contents de le voir partir. Il rend nerveux les autres pensionnaires. On le garde enfermé. Certains pensent qu’il est possédé du diable, ajouta-t-il à voix basse.
— Et vous, Gebons, quel est votre avis ?
— Je n’ai pas à avoir d’avis, répliqua-t-il en haussant les épaules, avant de se pencher tout près de moi. Si vous avez un peu de temps de libre, je pourrai vous montrer certains de nos plus beaux spécimens. Le Roi cabinet et l’Érudit enchaîné. Pour un shilling. »
J’hésitai, puis lui tendis la pièce. Plus j’étais au courant de ce qui se passait là, mieux ça valait.
Le gardien m’accompagna dans un couloir badigeonné à la chaux qui courait sur toute la longueur de la façade du bâtiment, flanqué de fenêtres sur un côté et d’une rangée de portes en bois peintes en vert sur l’autre. Il faisait froid et il y régnait une légère odeur d’excréments.
« Combien de patients avez-vous ici ?
— Trente, monsieur. Et il y a en a de toutes sortes. »
Des guichets avaient été percés dans les portes vertes à la hauteur des yeux. Un autre employé en blouse grise se trouvait devant une porte ouverte et regardait à l’intérieur de la pièce.
« Est-ce l’eau de ma toilette, Stephen ? lança une voix féminine.
— Oui, Alice. Voulez-vous que j’emporte votre pot de chambre ? »
La scène paraissait plutôt courtoise, presque domestique. Gebons me fit un sourire. « La plupart du temps, Alice est assez saine d’esprit. Mais elle souffre beaucoup du mal caduc et elle peut d’un moment à l’autre se retrouver par terre, la bave aux lèvres et crachant à qui mieux mieux. »
Je regardai Gebons, pensant à Roger.
« Elle a le droit d’aller et venir à sa guise. Contrairement à celui-ci », expliqua-t-il en s’arrêtant devant une porte fermée munie d’un gros verrou. Il me fit un large sourire qui découvrit des dents cassées et grisâtres. « Voici Sa Majesté. »
Il ouvrit le guichet et s’écarta pour me laisser regarder. J’aperçus une cellule carrée aux volets fermés. Fichée dans une vieille bouteille placée sur le sol, une bougie crachotait. La scène me fit hoqueter et reculer. Un vieil homme, monstrueusement gros, était assis sur une chaise percée peinte en blanc. Sa courte barbe était taillée comme celledu roi, tel qu’il figurait sur les pièces de monnaie, et son corps volumineux était drapé dans une extraordinaire robe faite de morceaux de tissus de toutes les couleurs cousus ensemble. Il tenait une canne au bout de laquelle on avait planté une boule de bois pour lui donner l’air d’un sceptre et sur sa tête chauve se trouvait une couronne de papier peinte en jaune.
« Comment allez-vous aujourd’hui, Votre Majesté ? s’enquit Hob.
— Assez bien, l’ami. Vous pouvez faire entrer mon sujet. J’accepte de le recevoir.
— Plus tard, peut-être, sire. Il faut d’abord que je nettoie les cabinets !
— Espèce de malappris… »
Gebons lui coupa la parole en refermant le guichet. Il se tourna vers moi en s’esclaffant bruyamment.
« Il est persuadé d’être le roi. Il était naguère maître d’école. Mais ce n’était pas un bon pédagogue, ses élèves se moquaient de lui, jouaient à la balle au pied dans la classe. Un beau jour, il a décidé qu’il était le roi et tous ses ennuis se sont envolés de son esprit.
— Se moquer du roi, dis-je, voilà une dangereuse activité. »
Gebons hocha la tête. « C’est la raison pour laquelle sa famille s’est débarrassée de lui en le faisant enfermer ici. Beaucoup de fous tiennent de très dangereux propos. Leur folie leur fait oublier que, par les temps qui courent, il faut faire attention à ce qu’on dit. Bien, poursuivit-il en arquant les sourcils et en me gratifiant à nouveau d’un large sourire, passons à l’Érudit enchaîné. Il se trouve à deux portes de là. C’est un type très cultivé. » Il jeta un coup d’œil à ma robe, un sourire narquois aux lèvres. « Docteur en droit de Cambridge, spécialiste du droit coutumier. Il n’a pas obtenu le poste qu’il convoitait. Alors il a attaqué le principal de son collège, a bien failli le tuer. Il se conduit correctement avec les gens de mon acabit mais ne supporte pas la vue des gens instruits. Vous
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