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Prophétie

Prophétie

Titel: Prophétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom , Georges-Michel Sarotte
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la fin du carême, la semaine suivante, car la consommation de la viande serait à nouveau officiellement autorisée. J’entrai dans la salle et m’installai près du feu. Or même mon accueillant foyer ne parvenait pas à dissiper la tension que je ressentais, non seulement parce que le cas d’Adam Kite m’avait fait mettre le pied dans les dangereux courants doctrinaux qui déferlaient sur la ville, mais aussi parce que cela m’obligeait à prendre conscience, à mon corps défendant, de mon incroyance grandissante.
     
     
    Le lendemain matin je partis de bonne heure pour l’asile de Bedlam. Sous mon manteau, je portais ma plus belle robe et je m’étais également coiffé de mon bonnet de sergent royal, jugeant que ce serait une bonne idée d’impressionner le directeur de l’asile. J’avoue avoir été mal à l’aise à l’idée d’aller dans une maison de fous. Je ne savais pratiquement rien de la folie, la chance avait épargné ma famille et mes amis. Je savais seulement que les médecins divisaient les malades mentaux en deux groupes : d’une part, les maniaques, qui sont souvent sujets à de violents accès de frénésie, et, d’autre part, les mélancoliques, qui fuient le monde en se réfugiant dans la morosité. La mélancolie était plus commune et en général moins grave, et j’avais moi-même un tempérament mélancolique. Et Adam Kite, songeai-je, de quelle forme de folie souffre-t-il ? Comment se comporte-t-il ?
    Le temps changeant était redevenu glacial. Durant la nuit, une neige légère avait saupoudré le sol qui étincelait sous le froid soleil. J’étais désolé d’avoir sorti Genesis, mon brave cheval, de l’écurie, mais les rues étaient trop glissantes pour qu’on puisse y marcher aisément et l’asile de Bedlam se trouvait à l’autre bout de la ville.
    Je franchis le mur de Londres à Newgate et suivi Newgate Street jusqu’au marché. Des commerçants érigeaient leurs étals sous la carcasse de l’église désaffectée de la congrégation dissoute de Saint-Martin, quelques ménagères coiffées de bonnets blancs examinant déjà les marchandises qu’on était en train de disposer. Au moment où je passais devant le marché, j’entendis des vociférations. Au coin où le marché de Newgate jouxtait l’abattoir, un homme en pourpoint de couleur sombre, sans manteau malgré le froid, se tenait sur une caisse vide en agitant une grosse bible noire sous le nez des passants, qui le plus souvent détournaient le regard. Il s’agissait sans doute du vociférateur auquel le vieux Ryprose avait fait allusion durant le dîner. C’était un homme jeune dont le visage était empourpré par la passion qui l’animait.
    Les bouchers qui se trouvaient derrière l’abattoir étaient à l’œuvre. Le carême se terminant le jeudi, ils tuaient déjà des moutons et du bétail. Des traînées de sang dégoulinaient depuis les diverses cours jusqu’au caniveau courant au milieu de la chaussée verglacée. Le prédicateur les désigna avec sa bible. « Ainsi en sera-t-il de l’humanité durant les derniers jours du monde ! hurla-t-il d’une voix de stentor. Leurs yeux fondront, la peau se détachera de leurs os, seul le sang restera et coulera sur deux cents milles, aussi épais que la bride d’un cheval ! Ainsi l’annonce l’Apocalypse ! » Comme je m’éloignais en longeant l’abattoir, je l’entendis crier : « Il vous suffit de vous tournervers Dieu pour goûter la douce joie du salut ! » Si les sergents l’arrêtaient, il risquait gros. Non qu’il eût nié l’eucharistie ou affirmé que seule la foi sauvait, mais il prêchait sans autorisation officielle.
    Le long de Cheapside, les apprentis en sarrau bleu, la buée sortant de leur bouche, installaient les ateliers de leur maître en prévision des activités de la journée et érigeaient des auvents aux vives couleurs. Certains chassaient les mendiants qui s’étaient abrités sous les porches pendant la nuit, leur assenant des coups de poing et de pied s’ils ne déguerpissaient pas assez vite. Une armée d’indigents, hommes et femmes, s’étaient déjà dirigés cahin-caha vers le grand aqueduc pour mendier auprès de ceux qui venaient y chercher de l’eau, se pressant les uns contre les autres sur les marches qui l’entouraient, tel un troupeau de corneilles affamées. Je scrutai leurs visages émaciés et crevassés. L’un d’entre eux, un vieillard à la tignasse grise, bavant et

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