Prophétie

Et vous aussi, Shardlake… Si vous êtes capable de descendre par une échelle », ajouta-t-il avec un sourire sarcastique, ses dents lançant un éclat de blancheur dans l’obscurité.
    « Bien sûr ! » rétorquai-je, même si la perspective ne m’enchantait guère.
    Sir Thomas enjamba le garde-fou avec souplesse et commença sa descente. Barak et Harsnet suivirent et je descendis en dernier, agrippant fortement les barreaux poisseux.
    Parvenus au fond du puits, nous nous trouvâmes sur un sol de brique trempé dont la pente se dirigeait vers une canalisation centrale, l’eau coulant le long d’un aqueduc qui disparaissait dans les ténèbres. Nous contemplâmes les écluses, muets de stupéfaction devant le spectacle qui s’offrait à nos yeux. Au bas des portes, les membres du corps nu de Lockley avaient été étirés et retenus à l’aide de clous à grosses têtes complètement enfoncés dans le bois, en une atroce parodie de la crucifixion, les mains fixées à une porte et les pieds à l’autre. Il eût été impossible d’ouvrir les portes sans arracher les clous et l’opération aurait exigé une plus grande force que celle produite par le poids de l’eau et le maniement de la roue en haut du puits. J’aperçus un magma de sang coagulé derrière la tête, mais il n’y avait guère de trace de sang autour des terribles blessures. En tout cas, Lockley avait eu une mort rapide. Je supposai que si on lui avait administré du papaver et qu’on l’eût laissé se réveiller dans le noir, il aurait risqué de survivre assez longtemps pour être secouru et dénoncer son agresseur. Le tueur avait fait passer sa sécurité avant son plaisir de tortionnaire. Le spectacle était malgré tout d’une incroyable sauvagerie.
    Le grincement des portes nous fit brusquement reculer.
    « Une grande masse d’eau est en train de s’accumuler, observa Barak d’un ton inquiet.
    — Comment diable le meurtrier l’a-t-il descendu jusqu’ici ? demanda sir Thomas.
    — Il l’a lâché dans le puits, j’imagine, suggéra Barak. Avant de descendre par l’échelle. »
    Les portes grincèrent à nouveau. « Je crois que nous devrions remonter ! s’écria Barak d’un ton pressant. À cause de la pluie, l’eau ne cesse de s’accumuler. Les clous sont solidement enfoncés, mais ils céderont tôt ou tard.
    — Vous avez raison, acquiesça sir Thomas. Remontons ! »
    Nous réescaladâmes l’échelle. Janley et Padge étaient assis sur des tabourets à chaque bout de la petite pièce obscure. Nous restâmes là quelques instants, désemparés, accablés par la découverte de ce dernier meurtre. « Il faut que je sorte d’ici ! » lança finalement Harsnet. Nous le suivîmes dans la cour. La pluie paraissait se calmer.
    « Ce sera difficile d’extirper Lockley de là. Et comme vous l’avez signalé, Barak, ce sera une entreprise périlleuse. Il faudra, quelle que soit la manière, bloquer les portes de l’écluse pendant qu’on enlèvera le corps et qu’on le remontera avec des cordes.
    — Je vais m’occuper de l’opération sans plus tarder », annonça sir Thomas. Même lui semblait accuser le coup. « Je vais la confier à certains hommes de ma maison dont je peux garantir la discrétion. Il n’y a pas une minute à perdre.
    — En effet, acquiesça Harsnet. Non seulement les instruments des musiciens mais également des objets appartenant au roi seront emportés par les eaux. Et je ne comprends pas comment il a pu entrer dans l’enceinte ni comment il savait où se trouvait le local des écluses. »
    Je jetai un regard à l’entour. « S’il traînait dans les parages, il a pu noter que le gardien est un ivrogne. Ç’a dû être assez facile d’entrer là durant la nuit et d’explorer les bâtiments pour voir s’ils correspondaient à ce qu’il recherchait afin de mettre en œuvre le projet qu’il avait déjà dû élaborer.
    — S’il a parlé au gardien, cet abruti de soûlard pourra peut-être s’en souvenir, dit sir Thomas, un vif éclat luisant soudain dans ses yeux.
    — Je doute qu’il lui ait parlé.
    — Pourquoi donc ?
    — Parce que Padge est toujours vivant. Il faudra qu’on l’interroge, bien sûr, mais rappelez-vous que le meurtrier a déjà tué un homme qui aurait pu nous permettre de découvrir son identité.
    — Il nous faut donc questionner à nouveau les clients de la taverne. Leur demander si un inconnu les a interrogés sur la