Prophétie
méchamment.
Harsnet se tortilla sur son fauteuil. Lord Hertford secoua la tête. « Un jour, tes propos inconsidérés causeront ta perte, Thomas. Mais ilest vrai que l’état du roi empire de jour en jour. Il n’en a probablement plus pour très longtemps à vivre… Toutefois, si une reine favorable à la réforme montait sur le trône, prête à assumer la régence durant la minorité du prince Édouard… », ajouta-t-il en écartant les mains.
Ils ont préparé ce mariage en voyant très loin, pensai-je. Ma recherche du meurtrier de Roger était désormais très étroitement mêlée aux intrigues de cour.
« Quand quittez-vous le pays, sir Thomas ? s’enquit Harsnet.
— Je n’en sais rien. Dans quelques semaines peut-être. »
Le coroner hocha la tête, le visage impassible, même si je devinais que, comme moi, il aurait préféré que ce bavard de sir Thomas s’en aille dès le lendemain. Nous avions terriblement besoin cependant du concours des hommes de sa maison.
Un coup sonore frappé à la porte me fit sursauter. Vu les propos que venait de tenir sir Thomas, un frémissement de peur parcourut la pièce. Lord Hertford cria d’une voix ferme : « Entrez ! »
Barak apparut. Sachant se montrer humble quand il le fallait, il inclina la tête sous le regard irrité de Hertford. « Je suis désolé de vous interrompre, monseigneur, mais Janley, le garde qui surveille la taverne de Lockley, vient d’arriver. On a retrouvé Lockley.
— Vivant ? demanda Harsnet, une lueur d’espoir dans les yeux.
— Non, monsieur. Mort. » Barak parcourut notre groupe du regard et prit une profonde inspiration. « Dans l’ancienne chartreuse. La façon dont il est mort indique qu’il est la sixième victime. »
Lord Hertford sembla défaillir. Il porta la main à son front.
« Qui est au courant ?
— Personne d’important, monseigneur. Pour le moment.
— Shardlake, Harsnet, rendez-vous sur place immédiatement.
— J’aimerais me joindre à eux, dit sir Thomas.
— Très bien », acquiesça lord Hertford. Son regard passa de l’un à l’autre des présents. « Il continue à mener la danse, pas vrai ? Et nous, le ferons-nous jamais danser comme il le mérite ? Au bout d’une corde… »
36
L a pluie continua de tomber tout le long du trajet jusqu’à la chartreuse. Je passai mon temps à cligner des paupières pour chasser la pluie de mes yeux, tandis que sir Thomas, Barak et moi écoutions les réponses fournies par le garde Janley aux questions que je criais. Nous avancions aussi vite que possible dans des rues qui se muaient en bourbier, la boue éclaboussant nos chevaux et nos bottes.
« Le gardien de la chartreuse est arrivé en courant à L’Homme Vert, raconta Janley. L’endroit n’est occupé que par lui et la famille Bassano, les musiciens italiens du roi. On a transformé certaines des anciennes cellules de moines en logement pour les recevoir.
— Donc, à part eux, l’endroit est vide ? demanda sir Thomas.
— C’est bien ça, monsieur. On utilise l’ancienne chartreuse pour ranger l’équipement de chasse du roi, ainsi que les tentes et les costumes pour les masques. Le gardien a la réputation d’être un ivrogne impénitent. Apparemment, il passait la plupart de ses soirées à L’Homme Vert à se saouler comme un porc, et Lockley et mame Bunce devaient souvent le flanquer dehors à la fermeture. L’une de ses tâches consiste à ouvrir et refermer les vannes dans le local des écluses, pour que l’eau n’arrête pas de couler dans les canalisations qui passent dans les caves des maisons de la place. Il lui arrive d’oublier d’effectuer la manœuvre et les gens du coin sont obligés d’aller se plaindre.
— Les gens du coin sont-ils au fait des derniers événements ? s’enquit Harsnet.
— Non, monsieur. Le gardien est venu en courant, il y a plus d’une heure, bredouillant qu’il y avait une inondation et le cadavre d’un homme dans la canalisation. Sachant que j’étais une sorte de garde officiel, il a précisé qu’il s’agissait de Lockley. Après lui avoir enjoint de retourner à la chartreuse, j’ai chevauché jusqu’au bureau du coroner, selon les instructions que j’avais reçues en cas d’événement imprévu.
— Vous avez réussi à garder secret ce qui est arrivé à mame Bunce ? lui demandai-je, notant son air fatigué et ses traits tendus.
— Oui. À tous ceux qui venaient à la taverne
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