Prophétie
violemment happé et je faillis être délogé de l’alcôve. Ma tête se retrouva soudain à l’air libre. Je pris une profonde inspiration. L’eau descendait au-dessous de ma poitrine en tourbillonnant, avant de se retirer avec un dernier bruit de tonnerre. On n’entendit plus qu’un dégoulinement et le bruit des grosses gouttes tombant du plafond.
Je me laissai choir sur le sol, hurlant de douleur au moment où mon épaule heurta la pierre. Je n’étais plus qu’un corps endolori, malodorant, tremblant de froid et trempé jusqu’aux os. Roulant sur moi-même, mes poignets et mes chevilles toujours liés, je sortis de l’alcôve et me retrouvai dans le couloir. Si j’ai survécu, pensai-je, peut-être est-ce aussi le cas de Cantrell.
À travers le grillage dégoulinant, j’aperçus une faible lueur qui éclairait la pénombre. C’était l’aube : nous avions passé toute la nuit dans l’égout. Je regardai nerveusement de toutes parts. Où se trouvait-il ? Et soudain mon cœur cogna comme un fou, car je venais de le voir. Il était assis contre la grille, en face de moi.
Je poussai un gémissement. J’étais trop faible pour continuer à lutter, même à penser. Mais Cantrell restait complètement immobile. Je n’arrêtais pas de scruter la pénombre, m’efforçant de voir s’il respirait. Durant l’interminable attente, il sembla bouger une fois ou deux. Puis j’entendis des cris de l’autre côté du grillage et vis des lumières en mouvement. Plusieurs hommes sautèrent dans le fossé devant la grille et pataugèrent dans le cours d’eau. Levant leurs torches, ils s’exclamèrent en découvrant Cantrell assis là, le dos tourné vers eux. Dans la lumière de leurs flambeaux, je vis que l’une des tiges métalliques brisées lui transperçait la tête et que son visage était souillé de sang et de lambeaux de cervelle. Le torrent avait dû le projeter violemment contre la grille. Les yeux grands ouverts, il avait l’air à la fois étonné et furieux. Durant ses dernières secondes de vie, il avait dû se rendre compte qu’il avait échoué. Comment se faisait-il que je n’avais pas perçu la fin de sa malfaisance ?
Un garde se pencha vers la grille, une clef à la main. Il eut beaucoup de mal à l’ouvrir.
« L’avocat ! Il est là ! s’écria-t-il. Et vivant ! »
Une nouvelle silhouette se pencha et pénétra dans le passage…Harsnet s’avança vers moi et approcha une torche de mon visage. Je le regardai droit dans les yeux.
« Barak est-il vivant ? balbutiai-je.
— Oui.
— Vous auriez pu me noyer. »
Il eut l’air triste mais pas gêné, et son visage demeura impassible. « Nous avons deviné que vous étiez là, déclara-t-il lentement, son accent de l’Ouest devenant plus prononcé. Comme il y avait des marques sur le verrou de la trappe, nous nous sommes demandé s’il avait réussi à le tirer depuis l’égout. Vu les pouvoirs dont il jouissait, je craignais que, même si j’envoyais une dizaine d’hommes pour l’attraper, il ne puisse s’échapper par les canalisations. C’était la seule et unique façon de s’assurer qu’il mourrait. Je suis désolé, Matthew. »
46
T rois jours plus tard, je reçus une visite inattendue . J’étais encore couché, récupérant de mon calvaire, quand Joan vint m’annoncer, très émue, que lord Hertford en personne m’attendait en bas. Je lui dis de le faire monter, conscient cependant que, malgré ma grande fatigue, j’aurais dû faire l’effort de descendre pour l’accueillir dans la salle.
Par-dessus un pourpoint gris, lord Hertford portait un manteau tout simple, doublé de fourrure. Je notai, une fois de plus, à quel point il différait de son fanfaron de frère, qui arborait toujours des vêtements voyants. Je l’avais trouvé jusqu’alors mortellement sérieux, mais, ce jour-là, il était détendu et me gratifia d’un sourire amical avant de s’asseoir dans le fauteuil près de mon lit. Aujourd’hui, pensai-je, il agit en homme politique.
« Veuillez m’excuser de devoir vous recevoir dans ma chambre », dis-je.
Il leva la main. « J’ai été désolé d’apprendre ce que vous avez dû endurer dans cet égout. Et chez Goddard auparavant. Nous n’aurions jamais attrapé Cantrell si vous n’aviez pas compris que le meurtre de Goddard était destiné à nous égarer. Sans vous, Catherine Parr ne serait plus.
— Je regrette qu’on n’ait pas pu
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