Prophétie

aucune réforme, mais les choses peuvent changer.
    — Désolé, monseigneur, mais je ne suis pas fait pour occuper une charge officielle. Pour prendre les pénibles décisions qu’on se croit obliger de prendre dans ce genre de poste. »
    Il posa sur moi un long regard pénétrant. « Fort bien, fit-il. Vous avez récemment subi de dures épreuves. Vous avez besoin de temps pour reprendre des forces. Mais pensez à ma proposition.
    — Le coroner Harsnet était prêt à me noyer, répliquai-je. J’avais espéré qu’il serait venu me rendre visite, mais il n’en a rien fait.
    — Je suis persuadé qu’il n’a pas pris à la légère la décision d’ouvrir les portes des écluses.
    — Je suis sûr qu’il était convaincu que telle était la volonté de Dieu. Les maisons de la place ont-elles été inondées ?
    — Certaines, en effet.
    — Comment Harsnet était-il sûr que nous nous trouvions dans l’égout ? demandai-je, très intrigué.
    — Le verrou de la trappe de l’égout n’avait pas été fermé correctement, contrairement à ce que croyait Cantrell. On pouvait deviner que quelqu’un était passé par là. Or, messire Shardlake, si Harsnet et ses hommes étaient descendus pour vous libérer, Cantrell n’aurait pas manqué de vous tuer avant qu’ils puissent parvenir jusqu’à vous.
    — Ce risque existait, certes. Harsnet devait également savoir que l’ouverture des vannes allait déclencher un torrent d’eau qui entraînerait notre noyade à tous les deux. C’est par le plus grand des hasards que j’ai pu m’encastrer dans l’alcôve et que le niveau de l’eau a baissé avant que je me noie.
    — Le coroner a jugé indispensable d’agir ainsi.
    — Monseigneur, c’est précisément parce que les gens qui travaillent à Whitehall doivent prendre ce type de décision indispensable que je vais me contenter de rester avocat. »
    Il se leva, reconnaissant son échec. Allait-il revenir à la charge ? Homme ambitieux, il construisait un réseau de fidèles. Comme Cromwell, c’était également un homme de principes. Or, malgré sa valeur, lord Hertford ne serait jamais un nouveau Cromwell, car il avait des faiblesses. Son affection pour son frère, par exemple.
    « Comment va votre assistant ?
    — Barak va bien. Il a reçu un sacré coup à la tête, mais elle est très solide…
    — J’aimerais le voir avant de partir. Pour le remercier lui aussi, de la part de l’archevêque. »
    J’appelai Joan pour qu’elle aille chercher Barak. Il arriva, la mine pâle, les yeux creux. Il fit un profond salut à sir Édouard, qui le remercia pour tout son travail. « J’ai essayé de persuader votre maître de collaborer avec moi, lui dit-il. Il y aurait également une place pour vous, comme son assistant. Je pourrais vous promettre une vie passionnante. Tâchez de le convaincre d’accepter mon offre. » Sur ce, lord Hertford nous salua tous les deux et quitta la pièce. Comme le bruit de ses pas dans l’escalier s’estompait, Barak s’écria : « Vous convaincre ? Mon cul ! Cette fois-ci, j’en ai assez bavé.
    — Je le sais », convins-je d’un ton plein de commisération.
    À notre retour de la chartreuse, nous avions constaté que Tamasin avait emporté ses affaires et laissé un mot pour Barak. La vieille amie chez qui elle s’était réfugiée après son départ avait été employée dans la cuisine privée de feu la reine Catherine Howard. Lorsque Barak et moi l’avions rencontrée à York deux ans plus tôt, Tamasin travaillait avec elle à la confection des friandises dont raffolait la reine. Barak avait refusé de me montrer le mot, mais m’avait informé qu’on avait offert son ancienne place à Tamasin. Maintenant que le roi allait épouser Catherine Parr, une nouvelle maisonnée allait être établie pour elle et le grand chambellan cherchait des serviteurs expérimentés. Tamasin avait accepté le poste et le logement de fonction à Whitehall. Jugeant qu’il était nécessaire qu’elle et Barak ne se voient pas durant un certain temps, elle le priait de ne pas chercher à entrer en contact avec elle. Cette décision lui avait donné un coup au cœur et j’avais dû faire preuve d’une grande force de persuasion pour l’empêcher de courir à Whitehall. Il avait alors accepté d’attendre un peu avant de la relancer. Or, maintenant qu’elle n’était plus là, il se rendait compte qu’il ne pouvait se passer