Prophétie
d’elle.
« Va-t-on bientôt reprendre le travail ? demanda-t-il. J’ai besoin d’occuper mon esprit.
— Dans quelques jours, Jack. Je dois d’abord voir deux personnes. »
Dès la fin de la semaine, j’étais à nouveau sur pied, même si je souffrais encore d’une certaine raideur et si les douleurs n’avaient pas disparu. L’ayant envoyé avertir la Cour des requêtes que je reprendrais le travail le lundi suivant, Barak revint chargé d’une liasse de nouveaux dossiers. Quel plaisir de les lire et de retrouver peu à peu mon ancienne vie. Toutefois, le dimanche, veille de mon retour au cabinet, je sellai Genesis et ressortis en ville.
Je me rendis d’abord chez Guy. On était le 22 avril, quatre semaines, jour pour jour, après la mort de Roger et le début des horreurs. Par cette calme et paisible journée de printemps, la ville crasseuse paraissait propre et lumineuse. Les mornes gris et bruns des rues étaient avivés par le vert des arbres des cimetières, la chaleur et la pluie récentes s’étant conjuguées pour favoriser partout la pousse précoce des feuilles.
Je m’étais dit que Guy serait sans doute chez lui un dimanche après-midi, en train d’étudier, après avoir été à l’église le matin. Je n’avais eu aucune nouvelle depuis dix jours, alors que, toujours alité, je lui avais écrit un mot pour lui annoncer la découverte de l’identité du tueur et sa mort.
Au moment où j’attachais Genesis devant l’échoppe, mon cœur se mit à battre la chamade. Et s’il allait me repousser et me signifier la fin de notre longue amitié ? Je fus surpris de trouver la porte d’entrée entrebâillée. Des voix familières venaient de l’arrière-boutique. Je pénétrai dans l’échoppe à pas de loup, me dirigeant sans bruit vers la porte intérieure entrouverte. L’exemplaire du livre de Vésale se trouvait sur la table, fermé.
Si Piers n’élevait pas le ton, sa voix était coupante comme le fil d’un rasoir. « Espèce de sale nègre, si l’avocat me dénonce pour vol, je pourrais me retrouver au bout d’une foutue corde !
— Il n’en a pas l’intention…
— Qu’est-ce que vous en savez ? Et, à présent, j’en suis réduit à mendier et à vivre parmi les déchets humains, à déguerpir dès que j’aperçois un sergent…
— Personne ne te pourchasse, Piers, répondit Guy d’une voix extrêmement lasse, avant d’ajouter : pourquoi m’as-tu volé ?
— Et pourquoi pas ? Les apprentis touchent un salaire de misère et je me suis cassé le cul à travailler pour vous.
— Tu aurais pu demander une augmentation.
— De toute façon, je ne serais pas resté avec vous. J’avais décidé de chercher un nouvel emploi et j’aurais eu besoin de l’argent. » Il partit d’un rire sardonique. « J’en avais plein le dos d’entendre vos pitoyables gémissements à propos de mon manque de compassion envers autrui. »
Je m’approchai silencieusement de la porte, regrettant que Barak ne soit pas avec moi.
« J’ai essayé de t’inculquer une morale, déclara Guy d’une voix brisée. De t’apprendre à être un homme de bien.
— Pendant que je faisais le sale boulot… Le nettoyage après que vous aviez ouvert les corps puants. Et je savais bien que c’est mon corps que vous auriez aimé ouvrir. Mon cul, en tout cas !
— Jamais…, murmura Guy, bouleversé.
— Je veux de l’argent. Tout ce que vous avez. Ensuite vous allez m’écrire une lettre de recommandation. Je pars dans le Nord pour chercher une nouvelle place.
— Je vais te donner de l’argent. Mais des références, jamais ! s’écria Guy d’une voix ferme.
— Alors je vais vous ouvrir le cœur pour voir si vous avez le sang aussi foncé que le visage… »
Dégainant mon poignard, j’ouvris la porte tout grand. « Non, Piers, fis-je d’un ton calme. Je t’en empêcherai. »
Guy était assis sur un tabouret, le dos contre le mur, Piers pointant un long couteau sur sa poitrine. Le visage du jeune homme, si souvent avenant ou impassible, était non seulement tordu et rouge de colère mais maculé de poussière. Le bel apprenti élégant de jadis avait à présent une tout autre allure. Il écarquilla les yeux de peur en me voyant, mais se rasséréna en constatant que j’étais seul.
« Alors, votre garde du corps ne vous accompagne pas aujourd’hui, bossu ? Je vais vous régler votre compte à vous aussi, et ce sera un vrai
Weitere Kostenlose Bücher