Prophétie
crier, car, au moindre mouvement, Cantrell pouvait m’égorger.
« Agenouillez-vous ! » siffla-t-il, relâchant un peu la pression de son épée. J’hésitai puis m’agenouillai sur le plancher. Mon dos brûlé m’élançait, me causant une extrême douleur. Une écharde s’enfonça dans mon genou. Il extirpa quelque chose de sa poche : un petit flacon à moitié rempli d’un liquide jaunâtre. Puis, sans relâcher la menace de son épée, il le déboucha et me le tendit.
« Buvez ! » fit-il.
Sachant que c’était du papaver, je regardai le flacon avec horreur. Le prélude à la torture et à la mort ! « Vous ne sortirez jamais de cette pièce, dis-je. Toute la maison est en émoi.
— Buvez ! répéta-t-il. Autrement, je vous tranche la gorge. Et celle du Juif. » Il appuya plus fortement la pointe de l’épée. Je ressentis une douleur aiguë et du sang dégoulina le long de mon cou.
« D’accord ! » Je saisis le flacon. Cela sentait le miel, car il avait mélangé la nocive substance avec du nectar. Ma main tremblait. Si je refuse de l’avaler, songeai-je en contemplant le flacon, et qu’il me tue maintenant, au moins ma mort sera-t-elle rapide. Mais alors Barak mourra lui aussi, sans aucun doute. Si je l’avale, je vivrai un peu plus longtemps, et l’instinct de survie est toujours irrésistible. Je portai le flacon à mes lèvres. Ma gorge parut se resserrer et je craignis d’être incapable de boire le liquide. Or une seule gorgée suffit pour vider le flacon. Dans combien de temps le papaver allait-il faire son effet ? Peut-être quelqu’un viendrait-il avant que cela ne se produise. Mais je me sentis immédiatement tout bizarre, comme si mon corps devenait excessivement lourd. Je tentai de reprendre haleine, sans succès. Puis je lâchai prise et le sol se déroba sous moi.
Quand je me réveillai dans l’obscurité, une odeur de fosse d’aisances me suffoqua et me donna envie de vomir. Mon corps était lourd, ankylosé, et une vive douleur me traversa le dos. J’avais les poignets liés devant moi et mes chevilles étaient également attachées. J’étais assis par terre, le dos appuyé contre le mur de brique, les jambes étendues sur le sol dur et gluant. Une lumière brillait sur le côté. Je me tournai vers elle avec difficulté. Une lanterne contenant une grosse bougie à la cire d’abeille éclairait le sol couvert d’excréments d’un long et étroit couloir de brique. À quatre pieds de moi, l’épée de Barak placée près de lui, Cantrell était assis en tailleur, me couvant du regard, les yeux luisant dans la lumière.
Je tressaillis de froid, les frissons ravivant la douleur de ma légère blessure à la gorge.
« Vous êtes réveillé ? fit Cantrell d’un ton neutre.
— Où sommes-nous ? » J’avais la bouche affreusement sèche et la voix très rauque.
« Dans l’égout. Sous la maison. »
Regardant autour de moi, j’aperçus de longues alcôves étroites percées dans la brique et qui devaient être liées aux garde-robes des divers étages. Derrière moi, le couloir se perdait dans les ténèbres. Mes yeux s’accoutumant à la pénombre, je distinguai devant moi une grande grille métallique et, au-delà, un pan de ciel éclairé par la lumière lunaire. L’épais grillage était brisé en plusieurs endroits, mais, des barbelures pointant dans tous les sens, un bras ne pouvait guère passer à travers les brèches. Nous étions pris au piège. J’entendis de l’eau couler de l’autre côté de la grille : sans doute le cours d’eau où se déversait l’égout.
« Je nous avais cachés sous les coussins, déclara Cantrell tranquillement, presque du ton de la conversation. Des gens sont entrés dans la pièce, mais ils ont cru qu’on s’était sauvés par la fenêtre, précisa-t-il en souriant. Ils étaient fous de panique, obsédés par le désir de protéger la Grande Prostituée. Quand la maison a retrouvé son calme, je vous ai descendu ici.
— Et Barak ?
— Il est toujours caché sous les coussins. Ils vont le retrouver.
— Il est mort ? »
Il haussa les épaules. « Je n’en sais rien et je m’en fiche. » Il se renfrogna et s’abîma dans ses pensées.
« Comment se fait-il que je sois toujours en vie ? hasardai-je, après un petit moment.
— Ne me faites pas perdre le fil de mes pensées ! lança-t-il avec colère. Vous m’empêchez de réfléchir ! Que le diable vous
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