Prophétie

plus », déclara Ellen d’une voix sombre. Me retournant pour la regarder, je vis qu’elle s’était reculée de deux pas pour s’éloigner de la porte ouverte.
    « Quelle tristesse ! Alors que vous avez tant fait pour l’aider. Guy affirme que, sans votre persistance et votre compréhension, Adam n’aurait sûrement pas accompli de tels progrès. Les Kite seraient sans aucun doute ravis que vous lui rendiez visite.
    — Vous connaissez ma situation, monsieur. N’insistez pas, je vous en prie. »
    Shawms sortit de son bureau et nous jeta un regard noir en passant entre nous. « Pourriez-vous me rendre un service, monsieur ? » me demanda Ellen, une fois qu’il eut disparu. Elle parlait vite, en rougissant, et je devinai qu’elle avait dû prendre son courage à deux mains pour poser la question.
    « Tout ce qui est en mon pouvoir, Ellen.
    — Accepteriez-vous de venir me voir de temps à autre ? J’adore connaître les nouvelles du dehors. Par exemple, c’est vous qui m’avez appris que le roi se remariait aujourd’hui. Ici, chacun est totalement enfermé dans son monde intérieur…
    — Je préférerais que vous vous hasardiez dans le monde extérieur, Ellen. Allez, venez ! Vous ne voulez pas faire seulement quelques pas dans la cour ? Appuyez-vous sur mon bras. Est-ce si difficile ?
    — Plus difficile que vous ne pouvez l’imaginer. » Et, en effet, la simple idée la fit reculer et s’appuyer contre le mur. « Il y a ici certains patients, comme Adam, qui peuvent être guéris, grâce à l’aide de bons amis et de ceux qui les aident. Mais il y en a d’autres, comme moi, dont le seul espoir de retrouver leur équilibre réside dans l’acceptation de leurs… déficiences.
    — Je vais conclure un marché avec vous, Ellen. Chaque fois que je le pourrai, je viendrai vous voir pour vous faire part de toutes les nouvelles. Mais je vais également vous prier d’étudier les diversesfaçons dont vous pourriez affronter vos… difficultés, voire les surmonter. Je ne chercherai jamais à vous faire sortir tant que vous n’y serez pas prête. En revanche, je ne renoncerai jamais à évoquer cette possibilité… Marché conclu ? ajoutai-je en souriant.
    — Vous êtes un impitoyable négociateur, monsieur. Comme tous les avocats.
    — En effet. Acceptez-vous les termes du contrat ? »
    Elle me fit un petit sourire triste. « Oui. Et merci de l’intérêt que vous me portez. »
    Juste à ce moment-là, on entendit un carillon sonore et joyeux. Par la porte ouverte, nous contemplâmes la cour ensoleillée tandis que les cloches sonnaient à toute volée. Là-bas, dans la chapelle d’un palais, le roi avait enfin épousé Catherine Parr.

Note historique
     
    Au printemps 1543 eut lieu un nouvel épisode dans la lutte pour le pouvoir, qui domina les dernières années du règne de Henri VIII, entre les réformateurs religieux et les partisans d’un retour en arrière. Bien que Édouard Seymour – lord Hertford – ait commencé son ascension vers les sommets, Thomas Cranmer restait le principal personnage officiel réformateur, ses liens personnels étroits avec le roi lui permettant de conserver sa position clef d’archevêque de Cantorbéry. L’une des raisons de sa réussite, c’est sans doute que, contrairement à Cromwell ou à Wolsey, il ne cherchait pas à exercer de l’ascendant sur le roi.
    Toutefois, à son retour de l’étranger, l’archiconservateur évêque Stephen Gardiner, aidé d’Edmund Bonner, l’évêque de Londres, tenta de lui faire perdre son poste. On pourchassa les évangélistes rigoristes dans les services de Cranmer à Cambridge et à Londres, mais on ne put trouver contre eux aucune preuve à charge sérieuse. Le roi effraya Cranmer en lui disant : « Je sais maintenant qui est le plus grand hérétique du Kent », mais renversa la situation aux dépens de Gardiner en choisissant Cranmer pour diriger la commission chargée d’examiner les accusations portées contre lui-même. En ce qui concerne l’attaque menée contre Cranmer, j’ai suivi le livre de Diarmaid MacCulloch intitulé Thomas Cranmer (Yale University Press, 1996), bien que ce soit en automne, plutôt qu’au printemps comme je l’ai indiqué, que Cranmer s’était retrouvé à découvert.
    Au début de l’année 1543 on assista à des attaques de grande envergure contre le protestantisme au Parlement et sous la forme d’une nouvelle campagne lancée à Londres