Prophétie
très fier. Mais peut-être pourriez-vous le sonder d’une manière ou d’une autre… Je sais, poursuivit-elle d’un ton implorant, que vous avez la manière pour faire parler les gens. Et je n’ai personne à qui demander cette faveur.
— J’essaierai, Tamasin. Mais je vais devoir bien choisir mon moment.
— Merci », fit-elle en hochant la tête d’un air reconnaissant.
Je me levai. « Bon, je dois prendre congé. Il serait furieux s’il revenait et vous trouvait en train de me raconter vos peines de cœur. Mais si les choses s’aggravent, ajoutai-je en posant une main sur son bras, ou si vous voulez parler à quelqu’un, un petit mot envoyé chez moi suffira pour me faire accourir.
— Vous êtes bon, monsieur. Parfois, je reste assise pendant des heures à regarder tristement cette plaque d’humidité. Je n’ai pas une once d’énergie et me demande ce qui m’arrive. La moisissure ne part pas. J’ai beau la nettoyer, les taches noirâtres réapparaissent et s’étendent à nouveau sur le mur. Rien n’est plus comme jadis, soupira-t-elle, à l’époque où je travaillais dans la maisonnée de la malheureuse reine Catherine Howard. Oh, je n’étais qu’une servante de bas étage, mais il y avait toujours quelque chose d’intéressant à voir.
— Ainsi que du danger, dis-je avec un sourire. Comme vous vous en êtes aperçue.
— Je sais. » Elle se tut un instant. « On dit qu’il y aura bientôt une nouvelle reine. Une veuve. Lady Catherine Latimer. Ce sera la sixième. Incroyable, n’est-ce pas ?
— Étrange, en effet. »
Elle secoua la tête, l’air perplexe. « Pareil roi a-t-il jamais existé ? »
Je pris congé. Tout en descendant l’escalier, je repensai aux noces de Barak et de Tamasin qui avaient été célébrées par une belle journée de printemps, l’année précédente. J’enviais alors leur bonheur. Un célibataire a tendance à supposer que tous les mariages sont heureux, que les époux sont aux petits soins l’un pour l’autre, tels Roger et Dorothy. Mais ce soir-là j’avais vu l’amère réalité que peut dissimuler la brillante surface. Si j’avais eu raison de penser que quelque chose clochait, j’avais été loin de me douter que le ménage battait de l’aile à ce point. « Ce satané Barak ! » m’exclamai-je à haute voix au moment où je franchissais le seuil, ce qui fit sursauter un homme distingué entrant dans la Vieille Barge, peut-être sur le chemin de la chambre d’une catin.
Je passai la plus grande partie du vendredi et du samedi saints chez moi à travailler sur des documents. Il y eut une nouvelle légère chute de neige. J’étais troublé, agité. Le samedi, je pris même mes crayons et mon bloc à dessin. Depuis un an, j’avais recommencé à peindre et à dessiner pour me distraire, mais ce jour-là je ne trouvai aucun sujet. Fixant la feuille blanche, je n’imaginais que de vagues cercles et des lignes sombres, dont un homme sain d’esprit ne pouvait guère faire un dessin. J’allai me coucher mais ne pus fermer l’œil. Comment parler de Tamasin à Barak sans aggraver la situation ? Et, quand je finis par m’endormir, je rêvai d’Adam Kite, le malheureux dément… Je pénétrais dans sa misérable chambre à Bedlam et le trouvais accroupi, en train de prier sans désemparer. Or, au moment où je m’approchais de lui, je me rendais compte qu’il n’invoquait ni le nom de Dieu, ni celui de Jésus, mais le mien… Il priait « messire Shardlake » de le sauver. Je me réveillai en sursaut.
Il faisait encore nuit mais, l’aube n’étant pas loin et sachant la pile de paperasses qui m’attendait au cabinet, je décidai d’aller travailler, bien que ce fût le dimanche de Pâques. Ma gouvernante était déjà debout, houspillant Peter, le valet de pied, pour qu’il allume le feu afin de réchauffer l’atmosphère de cette froide matinée. Je pris mon petit déjeuner, enfilai ma robe et m’emmitouflai dans mon manteau, avant de suivre Chancery Lane pour gagner Lincoln’s Inn.
Franchissant ma grille, j’eus l’impression que le temps s’était à nouveau réchauffé, la neige sur le sol se transformant une fois de plus en soupe. Les hautes cheminées qui s’élevaient au-dessus du toit de tuiles se profilaient sur un ciel d’une couleur bizarre, des traînées bleu pâle se mêlant à des bancs de nuages rosis par le soleil qu’ils voilaient. Je me mis en route,
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