Prophétie
est-elle ? demanda Barak, l’air très curieux.
— Ce n’est pas une grande beauté. Mais elle a un physique intéressant. Elle m’a paru apeurée.
— Effrayée de dire oui au roi, peut-être, et effrayée de lui dire non. »
Je hochai la tête tristement, car la peur de cette femme m’avait frappé.
« Bon, poursuivis-je. Je vais prendre un bateau pour aller voir Guy et apprendre ce qu’il a trouvé. Pourrais-tu retourner à Lincoln’s Inn et rédiger les comptes rendus des audiences d’aujourd’hui ? Écris aussi aux Kite pour les prier de venir me voir demain. »
Nous regagnâmes le débarcadère de Whitehall Stairs. Des prostituées au maquillage criard s’étaient postées près de la grille de New Palace Yard afin de se faire remarquer par les députés à l’issue de la séance. Au moment où je passai devant, deux d’entre elles se penchèrent en avant pour me laisser entrevoir leur généreuse poitrine.
« Elles ne manquent pas d’audace. Si on les arrête, elles seront attachées à l’arrière d’une charrette et fouettées.
— Cela n’arrivera pas, répliqua Barak avec un sourire sardonique. Les députés s’y opposeraient. La perspective de quelques distractions dans les lupanars est ce qui permet à certains d’entre eux de supporter les longs débats.
— Voilà peut-être pourquoi ils accordent si rapidement au roi tout ce qu’il désire. »
Lorsque j’arrivai chez Guy, il faisait déjà nuit. Sa porte était close mais il répondit au coup que je frappai. La mine grave, il m’invita à prendre un siège, s’assit en face de moi dans le cabinet de consultation et me regarda fixement. La lumière des bougies creusait les rides qui sillonnaient son visage basané.
« Comment va cette pauvre dame Elliard ? s’enquit-il.
— Elle est désemparée. L’enquête sur le meurtre de Roger n’avance pas. On ne trouve aucun avoué répondant au nom de Nantwich, l’expéditeur des lettres reçues par lui. Il semble de plus en plus évident qu’elles ont été envoyées par le meurtrier.
— Et vous, comment allez-vous, Matthew ? Vous avez l’air tendu. Alors que vous paraissiez aller très bien ces derniers temps. Vous effectuez toujours vos exercices pour le dos ?
— Oui. Je tiens le coup, Guy. Comme d’habitude. » Je pris une profonde inspiration. « Et je vais m’efforcer d’avoir le courage d’entendre vos conclusions après votre examen du cadavre de Roger. Mais épargnez-moi les détails, s’il vous plaît.
— Ce matin, je me suis rendu à l’endroit où le corps a été entreposé. Piers m’a accompagné… »
Je me renfrognai. La vision de Guy en train d’ouvrir le corps de Roger, d’examiner ses entrailles, était déjà assez horrible, mais qu’un inconnu, un simple gamin le fasse…
« Je le forme, Matthew. L’autorisation qui m’a été accordée de disséquer les corps offre une chance unique d’étudier l’anatomie humaine. Piers pourra peut-être utiliser ses compétences pour aider d’autres personnes à l’avenir. »
L’idée ne me plaisait toujours pas. « Qu’avez-vous découvert ?
— Autant que j’ai pu le constater, messire Elliard était en bonne santé au moment de sa mort.
— Ç’a toujours été le cas. Jusqu’à ce qu’on l’assomme et qu’on lui tranche la gorge.
— Je ne crois pas qu’on l’ait assommé, déclara Guy du même ton grave et serein. Pas dans le sens habituel du terme. »
Je le fixai, épouvanté. « Vous voulez dire qu’il était conscient ?
— Non. Ce n’est pas ça non plus. Avez-vous entendu parler du “papaver” ? »
Je secouai la tête.
« Rien d’étonnant à cela. Il s’agit d’un composé liquide d’opium et de certains autres éléments, tels que le vinaigre et la bile de porc, qui fait perdre conscience. Selon la quantité utilisée, cela peut détendre, rendre inconscient… ou provoquer la mort. On l’utilise depuis des siècles pour endormir les malades avant une opération.
— Alors comment se fait-il que je n’en aie jamais entendu parler ? Cela éviterait d’horribles douleurs. »
Il secoua la tête. « La substance possède un sérieux défaut. Il est très difficile de la doser avec précision. Extrêmement difficile même. De nombreux facteurs interviennent : l’ancienneté des ingrédients, la taille, l’âge et la santé du patient. Il est très aisé d’infliger une trop forte dose au patient, et
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