Prophétie

marais a été trouvé horriblement assassiné en janvier. C’était aussi un meurtre bizarre. Je serais pas surpris que l’assassin soit son propriétaire », ajouta-t-il, sa voix montant de plusieurs tons. Des gens se retournèrent vers nous.
    « Si vous ne tenez pas votre langue, vous allez perdre votre procès, lui lançai-je sèchement.
    — Bonjour les ennuis ! » chuchota Barak. Bealknap avait laissé son client et se dirigeait vers nous.
    « Puis-je vous dire deux mots, confrère Shardlake ? » demanda-t-il. Je notai qu’il transpirait, bien que, la salle n’étant pas chauffée, il y fît un froid glacial.
    « Fort bien », répondis-je en me levant.
    Nous nous éloignâmes de quelques pas. « Votre client ne devrait pas lancer des insultes contre les propriétaires dans l’enceinte du tribunal », déclara-t-il d’un ton pompeux.
    Je haussai les sourcils. « C’est là tout ce que vous avez à me dire ?
    — Non… Non… » Bealknap hésita, se mordit la lèvre, avant de prendre une profonde inspiration. « Il y a un problème, confrère Shardlake. J’ai omis d’enregistrer auprès du greffier le titre de propriété de mon client. »
    Je le dévisageai, médusé. La démarche la plus élémentaire d’un avocat consistait à s’assurer que les documents étaient correctement enregistrés par le greffier. On citait maints exemples d’avocats novices qui, ayant omis de les faire enregistrer à temps, avaient, de ce fait, vu leur dossier rejeté. Or Bealknap plaidait depuis une vingtaine d’années. Pour une fois, ses yeux bleu clair me regardaient en face et j’y lus un sentiment de panique. « Aidez-moi ! confrère Shardlake, chuchota-t-il d’une voix pressante. Aidez un confrère. Faites ajourner le procès. Je pourrai alors faire enregistrer le titre de propriété.
    — Si vous vous y prenez tout de suite, le juge pourra vous entendre. Le greffe du tribunal est ouvert.
    — Mais je l’ai perdu ! lâcha Bealknap d’un ton désespéré. J’en appelle à vous, Shardlake. Je devais l’apporter aujourd’hui. J’étais sûrqu’il était dans ma sacoche. Je suis malade ! Le Dr Archer m’a à nouveau purgé toute la nuit et j’ai sué sang et eau par le derrière… »
    Par solidarité entre collègues, beaucoup d’avocats l’auraient aidé, mais j’avais toujours refusé ce genre d’arrangement au détriment du client.
    « Désolé, Bealknap, répondis-je sereinement. J’ai des devoirs envers mon client. »
    Il émit un son entre soupir et râle. Puis, se penchant en avant, il éructa : « Je savais que vous me laisseriez choir, espèce de crapaud bossu ! Je ne suis pas près d’oublier cet affront ! »
    J’aperçus son client qui se tenait un peu à l’écart, regardant Bealknap d’un air perplexe. Sans un mot, je tournai les talons pour rejoindre Barak et Gib Rooke.
    « De quoi s’agissait-il ? s’enquit Barak. Il semblait à deux doigts de vous voler dans les plumes.
    — Il n’a pas fait enregistrer le titre de propriété. Il l’a égaré. »
    Barak sifflota. « Alors il est dans la merde. » Je serrai les lèvres. L’insulte de Bealknap n’avait fait que renforcer ma détermination de bien défendre Gib Rooke, qui, malgré son côté bravache, dans un prétoire, n’était qu’un enfant.
    « Quoi ? demanda-t-il d’une voix anxieuse. Qu’est-ce qui s’est passé ?
    — Si Bealknap avouait la vérité, expliquai-je, le juge pourrait accepter un ajournement, s’il est de bonne humeur. Mais Bealknap ne pourra s’empêcher de mentir et de chercher des faux-fuyants.
    — Par conséquent, sir Geoffrey a perdu la partie ?
    — C’est possible. »
    Bealknap était maintenant accroupi sur le sol, fouillant à nouveau frénétiquement, vainement, les mains tremblantes, dans sa sacoche. L’huissier apparut sur le seuil de la porte de la salle d’audience.
    « Que tous ceux qui doivent passer devant la Cour des requêtes de Sa Majesté avancent… »
    Bealknap lui jeta un regard désespéré, puis, se relevant, se joignit à la foule qui entrait dans l’antique salle peinte en blanc et percée de hautes fenêtres aux vitres crasseuses. Trônant sur son siège, le juge, vêtu de sa toge écarlate, mettait la seule tache de couleur.
     
     
    Si sir Stephen Ainsworth, juge des Requêtes, était un homme juste, il était aussi doté d’une langue acérée. Dès qu’il en vint à notre dossier il indiqua qu’il manquait