Prophétie

Testament par cœur, Matthew. » Fronçant les sourcils, il se concentra fortement.
    Thomas Seymour poussa un rire tonitruant qui fit grimacer Cranmer. « Je n’ai jamais rien entendu de pareil ! L’esprit de l’avocat bossu est vicié par trop de lectures. »
    Sir Édouard Seymour jeta à son frère un regard acerbe. « Rappelle-toi où tu te trouves, Thomas, et surveille ton langage ! »
    Cranmer semblait plongé dans ses pensées, ses doigts jouant avec la grosse croix d’argent suspendue à son cou. Quand il se redressa, ses yeux vifs étaient emplis de tristesse.
    « Je pense que Matthew a peut-être raison. Ces morts s’accordent parfaitement avec le chapitre 16 de l’Apocalypse, jusque dans l’enchaînement. Et puisque à notre époque le moindre apprenti se considère comme un expert de l’Écriture, un homme assez mauvais et assez foupeut très bien se croire destiné à mettre en application la prophétie. Car l’Apocalypse est censée annoncer l’avenir du monde. » Il poussa un soupir qui ressemblait à un râle.
    Parlait-il de possession lui aussi ? D’une âme dont le diable se serait emparé ?
    Hertford avait pris la Bible dans la bibliothèque de Cranmer et la lisait. Il hocha lentement la tête. « Il a raison, monseigneur. Ces meurtres suivent de trop près le schéma des coupes pleines de la fureur de Dieu pour qu’il s’agisse d’une simple coïncidence. Mais il y a tout de même quelque chose d’un peu réconfortant.
    — Réconfortant ? En quoi donc ? demanda Cranmer, incrédule.
    — Si le dessein du tueur est de réaliser ces prophéties, le fait que la deuxième victime ait été le médecin de lord Latimer n’a sans doute aucune signification particulière. Cela ne vise pas le mariage envisagé.
    — En effet. C’est la conclusion logique, acquiesça Cranmer. Mais, s’il l’apprenait, le roi serait quand même absolument horrifié… Lui aussi pourrait penser que l’assassin est inspiré par le diable, dit-il en jetant un coup d’œil à Harsnet, et répugner à former le saint nœud du mariage… Il est extrêmement superstitieux. Voilà des années que je m’efforce de le persuader d’abandonner cette mauvaise façon de pensée. En pure perte, conclut-il en souriant tristement.
    — Sa Majesté aurait-elle nécessairement tort de penser que ces actes puissent être inspirés par le diable ? demanda Harsnet tout en lançant de vifs coups d’œil tout autour de la pièce. Voyez le schéma impie suivi par le tueur, la ruse avec laquelle il a élaboré ces trois atroces mises en scène, la mystérieuse manière dont il a réussi à transporter les corps sur de grandes distances.
    — Le meurtre du maraîcher était une mise en scène, mais on en a accusé une femme qu’il avait jetée dehors.
    — Il ne pouvait pas imaginer que c’était ce qui arriverait, monsieur. Cela n’évoque-t-il pas pour vous une possesssion démoniaque ?
    — Pourquoi les évangélistes comme vous voient-ils de la possession démoniaque partout ? s’écria Thomas Seymour d’un ton agacé. Nous devrions tenter d’arrêter cet homme, au lieu de perdre notre temps en vaines spéculations. Tant qu’on ne l’aura pas retrouvé, il nous sera impossible de savoir à quel genre d’homme nous avons affaire. »
    Pour une fois, j’étais d’accord avec Seymour : « Sir Thomas a raison, monseigneur. Lui mettre la main au collet doit demeurer notre priorité.
    — Eh bien, alors, Matthew, me demanda Cranmer, comment concevez-vous la prochaine étape de l’enquête ?
    — Nous devrions chercher à savoir si le dénommé Tupholme, Roger et le médecin avaient des relations communes…
    — Fi donc, l’ami ! s’exclama impatiemment sir Thomas. C’était un maraîcher, un manant, alors que les deux autres étaient des bourgeois.
    — Tupholme et Roger avaient été des réformateurs zélés, même si, chacun à sa manière, ils avaient tous les deux abandonné leurs idées radicales. Le Dr Gurney était-il également dans ce cas ?
    — En effet, répondit Cranmer. Il… il avait jadis été extrêmement rigoriste, mais il avait depuis peu… perdu ses illusions. » Il s’abîma dans ses pensées quelques instants avant de m’adresser à nouveau la parole. « Vous croyez donc que le tueur peut rechercher des hommes qui, après avoir été des réformateurs zélés, ont, pour une raison ou une autre, abandonné leurs croyances ?
    — C’est ce que je