Quand un roi perd la France
m’en portais certain, qu’il ne serait pas attaqué ce jour
lui donna certainement du répit ; mais tout le temps que nous parlâmes,
bien qu’il voulût se montrer sûr de soi, il continua de marquer de la hâte, ce
que je trouvai bon.
Il a de la hauteur dans le naturel,
ce prince, et comme j’en ai aussi, cela ne pouvait pas nous faire le début
facile. Mais moi, j’ai l’âge, qui me sert…
Bel homme, belle taille… En effet,
en effet, il est vrai, mon neveu, que je ne vous ai point encore décrit le
prince de Galles !… Vingt-six ans. C’est l’âge d’ailleurs de toute la
nouvelle génération qui devient maîtresse des affaires. Le roi de Navarre a
vingt-cinq ans, et Phœbus de même ; seul le Dauphin est plus jeune… Galles
a un sourire avenant qu’aucune dent gâtée ne dépare encore. Pour le bas du
visage et pour la carnation, il tient du côté de sa mère, la reine Philippa. Il
en a les manières enjouées, et il grossira comme elle. Pour le haut du visage,
il tirerait plutôt vers son arrière grand-père, Philippe le Bel. Un front
lisse, des yeux bleus, écartés et grands, d’une froideur de fer. Il vous
regarde fixement, d’une façon qui dément l’aménité du sourire. Les deux parties
de cette figure, d’expressions si différentes, sont séparées par de belles
moustaches blondes, à la saxonne, qui lui encadrent la lèvre et le menton… Le
fond de sa nature est d’un dominateur. Il ne voit le monde que du haut d’un
cheval.
Vous connaissez ses titres ?
Édouard de Woodstock, prince de Galles, prince d’Aquitaine, duc de
Cornouailles, comte de Chester, seigneur de Biscaye… Le pape et les rois
couronnés sont les seuls hommes qu’il ait à regarder pour supérieurs. Toutes
les autres créatures, à ses yeux, n’ont que des degrés dans l’infériorité. Il a
le don de commander, c’est certain, et le mépris du risque. Il est
endurant ; il garde tête claire dans le danger. Il est fastueux dans le
succès et couvre de dons ses amis.
Il a déjà un surnom, le Prince Noir,
qu’il doit à l’armure d’acier bruni qu’il affectionne et qui le rend très
remarquable, surtout avec les trois plumes blanches de son heaume, parmi les
chemises de mailles toutes brillantes et les cottes d’armes multicolores des
chevaliers qui l’entourent. Il a commencé de bonne heure dans la gloire. À
Crécy, il avait donc seize ans, son père lui confia toute une bataille à
commander, celle des archers gallois, en l’entourant, bien sûr, de capitaines
éprouvés qui avaient à le conseiller et même à le diriger. Or, cette bataille
fut si durement attaquée par les chevaliers français qu’un moment, jugeant le
prince en péril, ceux-là qui avaient charge de le seconder dépêchèrent vers le
roi pour lui demander de se porter au secours de son fils. Le roi Édouard III,
qui observait le combat depuis la butte d’un moulin, répondit au
messager : « Mon fils est-il mort, atterré ou si blessé qu’il ne se
puisse aider lui-même ? Non ?… Alors, retournez vers lui, ou vers
ceux qui vous ont envoyé, et dites-leur qu’ils ne viennent me requérir, quelque
aventure qu’il lui advienne, tant qu’il sera en vie. J’ordonne qu’ils laissent
à l’enfant gagner ses éperons ; car je veux, si Dieu l’a ordonné, que la
journée soit sienne et que l’honneur lui en demeure. » Voilà le jeune
homme donc devant lequel je me trouvais, pour la première fois.
Je lui dis que le roi de France…
« Devant moi, il n’est pas le roi de France », fit le prince. –
Devant la Sainte Église, il est le roi oint et couronné », lui
renvoyai-je ; vous jugez du ton… que le roi de France donc venait à lui
avec son ost qui comptait près de trente mille hommes. Je forçais un peu, à
dessein ; et pour être cru, j’ajoutais : « D’autres vous
parleraient de soixante mille. Moi, je vous dis le vrai. C’est que je n’inclus
pas la piétaille qui est demeurée en arrière. » J’évitai de lui dire
qu’elle avait été renvoyée ; j’eus le sentiment qu’il le savait déjà. Mais
n’importe ; soixante ou trente, ou même vingt-cinq mille, chiffre qui
s’approchait plus du vrai : le prince n’avait que six mille hommes avec
lui, tous archers et coutiliers compris. Je lui représentai que, dès lors, ce
n’était plus question de vaillance, mais de nombre.
Il me dit qu’il allait être rejoint
d’un moment à l’autre par l’armée de
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