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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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le
prince Édouard, et il va le rattraper, il ne peut que l’écraser. Si ce n’est en
Poitou, ce sera en Angoumois.
    Tout, apparemment, donne Jean pour
vainqueur. Mais ces journées-ci, ses astres sont mauvais, très mauvais, je le
sais. Et je me demande comment, dans une situation qui l’avantage si fort, il
va essuyer un si funeste aspect. Je me dis qu’il va peut-être livrer une
bataille victorieuse, mais qu’il y sera tué. Ou bien qu’une maladie va le
saisir en chemin…
    Sur les mêmes routes avancent aussi
les chevauchées des retardataires, les comtes de Joigny, d’Auxerre et de
Châtillon, les bons compères, toujours joyeux et prenant leurs aises, mais
comblant petit à petit leur écart avec le gros de l’armée de France.
« Bonnes gens, avez-vous vu le roi ? » Le roi ? Il est
parti le matin de La Haye. Et l’Anglais ? Il y a dormi la veille…
    Jean II, puisqu’il suit son
cousin anglais, est renseigné fort exactement sur les routes de son adversaire.
Ce dernier, se sentant talonné, gagne Châtellerault, et là, pour s’alléger et
dégager le pont, il fait passer la Vienne, de nuit, à son convoi personnel,
tous les chariots qui portent ses meubles, ses harnachements de parade, ainsi que
tout son butin, les soieries, les vaisselles d’argent, les objets d’ivoire, les
trésors d’églises qu’il a raflés au cours de sa chevauchée. Et fouette vers
Poitiers. Lui-même, ses hommes d’armes et ses archers, dès le petit matin,
prennent un moment la même route ; puis, pour plus de prudence, il jette
son monde dans des voies de traverse. Il a un calcul en tête : contourner
par l’est Poitiers, où le roi sera bien forcé de laisser reposer sa lourde
armée, ne serait-ce que quelques heures, et ainsi augmenter son avance.
    Ce qu’il ignore, c’est que le roi
n’a pas pris le chemin de Châtellerault. Avec toute sa chevalerie qu’il emmène
à un train de chasse, il a piqué sur Chauvigny, encore plus au levant, pour
tenter de déborder son ennemi et lui couper la retraite. Il va en tête, droit
sur sa selle, le menton en avant, sans prendre garde à rien, comme il est allé
au banquet de Rouen. Une étape de plus de douze lieues, d’un trait.
    Toujours courant à sa suite, les
trois seigneurs bourguignons, Joigny, Auxerre et Châtillon. « Le
roi ?…
    — Sur Chauvigny. – Va donc
pour Chauvigny ! » Ils sont contents ; ils ont presque rejoint
l’ost ; ils seront là pour l’hallali.
    Ils parviennent donc à Chauvigny,
que surmonte son gros château dans une courbe de la Vienne. Il y a là, dans le
soir qui tombe, un énorme rassemblement de troupes, un encombrement sans pareil
de chariots et de cuirasses. Joigny, Auxerre et Châtillon aiment leurs aises.
Ils ne vont pas se jeter, après une dure étape, dans une telle cohue. À quoi
bon se presser ? Prenons plutôt un bon dîner, tandis que nos varlets
panseront les montures. Cervelière ôtée, jambières délacées, les voilà qui
s’étirent, se frottent les reins et les mollets, et puis s’attablent dans une
auberge non loin de la rivière. Leurs écuyers, qui les savent gourmands, leur
ont trouvé du poisson, puisqu’on est vendredi. Ensuite, ils vont dormir… tout
cela me fut conté après, par le menu… et le matin suivant s’éveillent tard,
dans un bourg vide et silencieux. « Bonnes gens… le roi ? » On
leur désigne la direction de Poitiers. « Le plus court ?
    — Par la Chaboterie. »
    Voilà donc Châtillon, Joigny et
Auxerre, leurs lances à leur suite, qui s’en vont à bonne allure dans les
chemins de bruyères. Joli matin ; le soleil perce les branches, mais sans
trop darder. Trois lieues sont franchies sans peine. On sera rendu à Poitiers
dans moins d’une demi-heure. Et soudain, au croisement de deux layons, ils
tombent nez à nez avec une soixantaine d’éclaireurs anglais. Ils sont plus de
trois cents. C’est l’aubaine. Fermons nos ventailles, abaissons nos lances. Les
éclaireurs anglais, qui sont d’ailleurs gens du Hainaut que commandent messires
de Ghistelles et d’Auberchicourt, font demi-tour et prennent le galop.
« Ah ! les lâches, ah ! les couards ! À la poursuite, à la
poursuite ! »
    La poursuite ne dure guère car, la
première futaie franchie, Joigny, Auxerre et Châtillon s’en vont donner dans le
gros de la colonne anglaise qui se referme sur eux. Les épées et les lances
s’entrechoquent un moment. Ils se battent bien les

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