Quand un roi perd la France
très en avant… que le
roi de France avec tout son ost se dispose à descendre sur lui, le prince se
demande s’il n’a pas eu tort de s’obstiner contre la forteresse, et s’il
n’aurait pas mieux fait de laisser les trois cents lances de Boucicaut
enfermées dans Romorantin.
Il ne connaît pas exactement le
nombre de l’armée du roi Jean ; mais il la sait plus forte que la sienne,
et de beaucoup, cette armée qui va chercher passage sur quatre ponts à la fois…
S’il ne veut pas souffrir d’une disparité trop écrasante, il lui faut à tout
prix opérer sa jonction avec le duc de Lancastre. Finie la chevauchée
plaisante, fini de s’amuser des vilains fuyant dans les bois et des toits de
monastères qui flambent. Messires de Chandos et de Grailly, ses meilleurs
capitaines, ne sont pas moins inquiets, et même ce sont eux, vieux routiers
rompus à la fortune des guerres, qui l’invitent à la hâte. Il descend la vallée
du Cher, traversant Saint-Aignan, Thésée, Montrichard sans s’arrêter à trop les
piller, sans même regarder la belle rivière aux eaux tranquilles, ni ses îles
plantées de peupliers que le soleil traverse, ni les coteaux crayeux où
mûrissent, sous la chaleur, les prochaines vendanges. Il tend vers l’ouest,
vers le secours et le renfort.
Le 7 septembre, il atteint Montlouis
pour apprendre qu’un gros corps de bataille, que commandent le comte de Poitiers,
troisième fils du roi, et le maréchal de Clermont, est à Tours.
Alors, il balance. Quatre jours il
attend, sur les hauteurs de Montlouis, que Lancastre arrive, ayant passé le
fleuve ; le miracle, en somme. Et si le miracle ne se produit pas, en tout
cas sa position est bonne. Quatre jours il attend que les Français, qui savent
le lieu où il est, lui livrent bataille. Contre le corps Poitiers-Clermont, le
prince de Galles pense qu’il peut tenir et même l’emporter. Il a choisi son
emplacement de combat, sur un terrain coupé par d’épais buissons d’épines. Il
occupe ses archers à terrasser leurs retranchements. Lui-même, ses maréchaux et
ses écuyers campent dans des maisonnettes avoisinantes.
Quatre jours, dès l’aurore, il
scrute l’horizon, du côté de Tours. Le matin dépose dans l’immense vallée des
brumes dorées ; le fleuve, grossi par les récentes pluies, roule de l’ocre
entre ses berges vertes. Les archers continuent à façonner des talus.
Quatre nuits, regardant le ciel, le
prince s’interroge sur ce que l’aube suivante lui réserve. Les nuits furent
très belles dans ce moment-là, et Jupiter y brillait bien, plus gros que tous
les autres astres.
« Que vont faire les
Français ? se demandait le prince. Que vont-ils faire ? »
Or, les Français, respectant pour
une fois l’ordre qui leur avait été donné, n’attaquent point. Le 10 de
septembre, le roi Jean est à Blois avec son corps de bataille bien rassemblé.
Le 11, il se meut vers la jolie cité d’Amboise, autant dire à toucher
Montlouis. Adieu renforts, adieu Lancastre ; il faut au prince de Galles
retraiter sur l’Aquitaine, au plus rapide, s’il veut éviter que, entre Tours et
Amboise, la nasse ne se referme ; à deux corps de bataille, il ne peut
opposer front. Le même jour, il déloge de Montlouis pour aller dormir à
Montbazon.
Et là, au matin du 12, que voit-il
arriver ? Deux cents lances, précédées d’une bannière jaune et blanche, et
au milieu des lances une grande litière rouge d’où sort un cardinal… J’ai
accoutumé mes sergents et valets, vous l’avez vu, à mettre genou en terre quand
je descends. Cela fait toujours impression sur ceux chez qui je parviens.
Beaucoup aussitôt s’agenouillent de même, et se signent. Mon apparition mit de
l’émotion, je vous le donne à croire, dans le camp anglais.
J’avais la veille quitté le roi Jean
à Amboise. Je savais qu’il n’attaquerait pas encore, mais que le moment ne
pouvait plus être éloigné. Alors, à moi d’engager mon affaire. J’étais passé
par Bléré, où j’avais pris peu de sommeil. Flanqué des armures de mon neveu de
Durazzo et de messire de Hérédia, et suivi des robes de mes prélats et clercs,
j’allai au Prince et lui demandai de s’entretenir avec moi, seul à seul.
Il me parut pressé, me disant qu’il
levait le camp dans l’heure. Je lui assurai qu’il avait un moment, et que mon
propos, qui était celui de notre Saint-Père le pape, méritait qu’il l’entendît.
De savoir, comme je
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