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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Lancastre. Je lui répondis que je le lui
souhaitais de tout mon cœur, pour son salut.
    Il vit qu’à jouer l’assurance, il ne
serait pas mon maître, et, après avoir marqué un court silence, il me dit tout
à trac qu’il me savait plus favorable au roi Jean… à présent, il lui rendait
son titre de roi… que je ne l’étais à son père. « Je ne suis favorable
qu’à la paix entre les deux royaumes, lui répondis-je, et c’est elle que je
viens vous proposer. »
    Alors il commença avec beaucoup de
grandeur à me représenter que l’an précédent il avait traversé tout le
Languedoc et mené ses chevaliers jusqu’à la mer latine sans que le roi s’y pût
opposer ; que cette saison même, il venait de faire chevauchée de la
Guyenne jusqu’à la Loire ; que la Bretagne était quasiment sous la loi
anglaise ; que bonne part de la Normandie, amenée par Monseigneur Philippe
de Navarre, était tout près d’y passer ; que moult seigneurs d’Angoumois,
du Poitou, de Saintonge, et même du Limousin lui étaient ralliés… il eut le bon
goût de ne point mentionner le Périgord… et en même temps, il regardait la
hauteur du soleil par la fenêtre… pour enfin me lâcher : « Après tant
de succès pour nos armes, et toutes les emprises que nous avons, de droit et de
fait, dans le royaume de France, quelles seraient les offres que nous ferait le
roi Jean pour la paix ? »
    Ah ! si le roi avait bien voulu
m’entendre à Breteuil, à Chartres… Que pouvais-je répondre, qu’avais-je dans
les mains ? Je dis au prince que je ne lui apportais aucune offre du roi
de France car ce dernier, fort comme il l’était, ne pouvait songer à la paix
avant d’emporter la victoire qu’il escomptait ; mais que je lui portais le
commandement du pape, qui voulait qu’on cessât d’ensanglanter les royaumes
d’Occident, et qui priait impérieusement les rois, insistai-je, de s’accorder
afin de se porter au secours de nos frères de Constantinople. Et je lui
demandai à quelles conditions l’Angleterre…
    Il regardait toujours monter le
soleil, et rompit l’entretien en disant : « Il revient au roi mon
père, non à moi, de décider de la paix. Je n’ai point d’ordre de lui qui
m’autorise à traiter. » Puis il souhaita que je voulusse bien l’excuser
s’il me précédait sur la route. Il n’avait en tête que de mettre distance avec
l’armée poursuivante. « Laissez-moi vous bénir, Monseigneur, lui dis-je.
Et je resterai proche, s’il vous advenait d’avoir besoin de moi. »
    Vous me direz, mon neveu, que
j’emportais petite pêche dans mon filet, en m’en repartant de Montbazon
derrière l’armée anglaise. Mais je n’étais point aussi mécontent que vous le
pourriez croire. La situation étant ce que je la voyais, j’avais ferré le
poisson et lui laissais du fil. Cela dépendait des remous de la rivière. Il me
fallait seulement ne pas m’éloigner du bord.
    Le prince avait piqué vers le sud,
vers Châtellerault. Les chemins de la Touraine et du Poitou, ces journées-là,
virent passer d’étonnants cortèges. D’abord, l’armée du prince de Galles,
compacte, rapide, six mille hommes, toujours en bon ordre, mais tout de même un
peu essoufflés et qui ne musent plus à brûler les granges. C’est plutôt la
terre qui semble brûler les sabots de leurs montures. À un jour de marche,
lancée à leur poursuite, l’armée formidable du roi Jean, lequel a regroupé,
comme il le voulait, toutes ses bannières, ou presque, vingt-cinq mille hommes,
mais qu’il presse trop, qu’il fatigue et qui commencent à moins bien
s’articuler et à laisser des traînards.
    Et puis, entre Anglais et Français,
suivant les premiers, précédant les seconds, mon petit cortège qui met un point
de pourpre et d’or dans la campagne. Un cardinal entre deux armées, cela ne
s’est pas vu souvent ! Toutes les bannières se hâtent à la guerre, et moi,
avec ma petite escorte, je m’obstine à la paix. Mon neveu de Durazzo
trépigne ; je sens qu’il a comme de la honte à escorter quelqu’un dont
toute la prouesse serait de faire qu’on ne combattît point. Et mes chevaliers,
Heredia, La Rue, tous pensent de même. Durazzo me dit : « Laissez
donc le roi Jean rosser les Anglais, et qu’on en finisse. D’ailleurs
qu’espérez-vous empêcher ? »
    Je suis au fond de moi assez de leur
avis, mais je ne veux point lâcher. Je vois bien que si le roi Jean rattrape

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