Quand un roi perd la France
fréquemment messagers à l’armée du roi. Empêcher à
tout prix la chevauchée du prince de Galles, qui vient de Sologne, et celle du
duc de Lancastre, qui arrive de Bretagne, de se joindre. On les battra
séparément. Et d’abord, le prince de Galles. L’armée, divisée en quatre
colonnes pour en faciliter l’écoulement, franchira le fleuve par les ponts de
Meung, de Blois, d’Amboise et de Tours. Éviter les engagements, quelles que
soient les occasions qui s’en puissent offrir, avant que tous les corps de
bataille ne soient rassemblés outre-Loire. Pas de prouesses individuelles, si
tentantes qu’elles puissent paraître. La prouesse, ce sera d’écraser l’Anglais
tous ensemble, et de purger le royaume de France de la misère et de la honte
qu’il subit depuis de trop longues années. Telles étaient les instructions que
le connétable duc d’Athènes donna aux chefs de bannières réunis avant le
départ. « Allez, messires, et que chacun soit à son devoir. Le roi a les
yeux sur vous. »
Le ciel était encombré de gros
nuages noirs qui crevèrent soudain, traversés d’éclairs. Toutes ces journées,
le Vendômois et la Touraine furent battus de pluies d’orage, brèves mais drues,
qui trempaient les cottes d’armes et les harnachements, traversaient les
chemises de mailles, alourdissaient les cuirs. On eût dit que la foudre était
attirée par tout cet acier qui défilait ; trois hommes d’armes, qui
s’étaient abrités sous un grand arbre, en furent frappés. Mais l’armée, dans
l’ensemble, supportait bien les intempéries, souvent encouragée par un peuple
en clameur. Car bourgeois des petites villes et manants des campagnes
s’inquiétaient fort de l’avance du prince d’Aquitaine dont on disait choses
effrayantes. Ce long défilé d’armures qui se hâtaient, quatre de front, les rassurait
dès qu’ils comprenaient que les combats ne se livreraient pas dans leurs
parages. « Vivre notre bon roi ! Rossez bien ses ennemis ! Dieu
vous protège, vaillants seigneurs ! » Ce qui voulait dire :
« Dieu nous garde, grâce à vous… dont beaucoup vont tomber raides quelque
part… de voir nos maisons et nos pauvres hardes brûlées, nos troupeaux
dispersés, nos récoltes perdues, nos filles malmenées. Dieu nous garde de la
guerre que vous allez faire ailleurs. » Et ils n’étaient pas chiches de
leur vin qui est frais et doré. Ils le tendaient aux chevaliers qui le
buvaient, cruche levée, sans arrêter leur monture.
J’ai vu tout cela, car j’avais pris
résolution de suivre le roi et d’aller comme lui à Blois. Il se hâtait à la
guerre mais, moi, j’avais mission de faire la paix. Je m’obstinais. J’avais mon
plan, moi aussi. Et ma litière avançait, derrière le gros de l’armée, mais
suivie de détachements qui avaient manqué de rejoindre à temps le camp de
Chartres. Il en arriverait pendant plusieurs jours encore, tels les comtes de
Joigny, d’Auxerre et de Châtillon, trois fiers compères qui s’en allaient sans
se presser, suivis de toutes les lances de leurs comtés, et prenaient la guerre
par son côté joyeux. « Bonnes gens, avez-vous vu passer l’armée du roi ? –
L’armée ? On l’a vue passer le jour d’avant-hier, qu’il y en avait, qu’il
y en avait ! Cela a duré plus d’une couple d’heures. Et d’autres encore
ont passé ce matin. Si vous trouvez l’Anglais, ne lui faites point
quartier. – Pour sûr, bonnes gens, pour sûr… et si nous prenons le prince
Édouard, nous nous rappellerons de vous en envoyer un morceau. »
Et le prince Édouard, pendant ce
temps, allez-vous me demander… Le prince avait été retardé devant Romorantin.
Moins longtemps que ne l’escomptait le roi Jean, mais assez toutefois pour lui
laisser développer sa manœuvre. Cinq journées, car les sires de Boucicaut, de
Craon et de Caumont s’étaient furieusement défendus. Dans la journée du 31
août, l’assaut leur fut donné trois fois, qu’ils repoussèrent. Et ce fut seulement
le 3 septembre que la place tomba. Le prince la fit incendier, comme à
l’accoutumée ; mais le lendemain, qui était un dimanche, il lui fallut
laisser reposer sa troupe. Les archers, qui avaient perdu nombre des leurs,
étaient fatigués. C’était la première rencontre un peu sérieuse depuis le début
de la campagne. Et le prince, moins souriant qu’à son ordinaire, ayant appris
par ses espies… car il avait toujours des intelligences
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