Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
l’abbaye de
Maupertuis sonnent dans leur gros clocher carré. Et les Anglais, sur la
hauteur, derrière les boqueteaux qui les dissimulent, entendent le formidable Gloria que poussent les chevaliers de France.
    Le roi communie entouré de ses
quatre fils et de son frère d’Orléans, tous en arroi de combat. Les maréchaux
regardent avec quelque perplexité les jeunes princes auxquels il leur a fallu
donner des commandements bien qu’ils n’aient aucune expérience de la guerre.
Oui, les princes leur sont un souci. N’a-t-on pas amené jusqu’aux enfants, le
jeune Philippe, le fils préféré du roi, et son cousin Charles d’Alençon ?
Quatorze ans, treize ans ; quel embarras que ces cuirasses naines !
Le jeune Philippe restera auprès de son père, qui tient à le veiller
lui-même ; et l’on a commis l’Archiprêtre à la protection du petit
Alençon.
    Le connétable a réparti l’armée en
trois grosses batailles. La première, trente-deux bannières, est aux ordres du
duc d’Orléans. La deuxième aux ordres du Dauphin, duc de Normandie, secondé de
ses frères, Louis d’Anjou et Jean de Berry. Mais en vérité, le commandement est
à Jean de Landas, à Thibaut de Voudenay et au sire de Saint-Venant, trois
hommes de guerre qui ont charge de serrer étroitement l’héritier du trône et de
le gouverner. Le roi prendrait la tête de la troisième bataille.
    On le hisse en selle, sur son grand
destrier blanc. Du regard, il parcourt son armée et s’émerveille de la voir si
nombreuse et si belle. Que de heaumes, que de lances côte à côte, sur des rangs
profonds ! Que de lourds chevaux qui encensent de la tête et font
cliqueter leurs mors ! Aux selles pendent les épées, les masses d’armes,
les haches à deux tranchants. Aux lances flottent les pennons et les
banderoles. Que de couleurs vives peintes sur les écus et les targes, brodées
sur les cottes des chevaliers et sur les housses de leur monture ! Tout
cela poudroie, luit, scintille, éclate sous le soleil du matin.
    Le roi s’avance alors et
s’écrie : « Mes beaux sires, quand vous étiez entre vous à Paris, à
Chartres, à Rouen ou à Orléans, vous menaciez les Anglais et vous souhaitiez
être le bassinet en tête devant eux ; or, vous y êtes à présent ; je
vous les montre. Aussi veuillez leur montrer vos talents et venger les ennuis
et dépits qu’ils nous ont faits, car, sans faute, nous les
battrons ! » Et puis après l’énorme : « Dieu y ait part.
Nous le verrons ! » qui lui répond, il attend. Il attend, pour donner
l’ordre d’attaquer, que soit revenu Eustache de Ribemont, le bailli de Lille et
de Douai, qu’il a envoyé avec un petit détachement reconnaître exactement la
position anglaise.
    Et toute l’armée attend, dans un
grand silence. Moment difficile que celui où l’on va charger et où l’ordre
tarde. Car chacun alors se dit : « Ce sera peut-être mon tour
aujourd’hui… Je vois peut-être la terre pour la dernière fois. » Et toutes
les gorges sont nouées, sous la mentonnière d’acier ; et chacun se
recommande à Dieu plus vivement encore que pendant la messe. Le jeu de la
guerre devient tout à coup solennel et terrible.
    Messire Geoffroy de Charny portait
l’oriflamme de France que le roi lui avait fait l’honneur de lui confier, et
l’on m’a dit qu’il avait l’air tout transfiguré.
    Le duc d’Athènes semblait des plus
tranquilles. Il savait d’expérience que, le plus gros de son travail de
connétable, il l’avait assuré auparavant. Dès que le combat serait engagé, il
ne verrait guère à plus de deux cents pas ni ne se ferait entendre à plus de
cinquante ; on lui dépêcherait des divers points du champ de bataille des
écuyers qui arriveraient ou n’arriveraient pas ; et, à ceux qui
parviendraient à lui, il crierait un ordre qui serait ou ne serait pas exécuté.
Qu’il soit là, qu’on puisse dépêcher à lui, qu’il fasse un geste, qu’il crie
une approbation, rassurerait. Peut-être une décision à prendre dans un moment
difficile… Mais dans cette grande confusion de chocs et de clameurs, ce ne
serait plus lui, vraiment, qui commanderait, mais la volonté de Dieu. Et vu le
nombre des Français, il semblait bien que Dieu se fût déjà prononcé.
    Le roi Jean, lui, commençait à
s’irriter parce que Eustache de Ribemont ne revenait pas. Aurait-il été pris,
comme hier Auxerre et Joigny ? La sagesse serait d’envoyer une

Weitere Kostenlose Bücher