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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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écarter parfois de sa longue hache cette lame
inutile, afin de pouvoir porter des coups d’arrêt à ses assaillants. Mais au
moins il n’a pas fui, le petit Philippe !
    Soudain, Jean II se voit
entouré de vingt adversaires, à pied, si pressés qu’ils se gênent les uns les
autres. Il les entend crier : « C’est le roi, c’est le roi, sus au
roi ! »
    Pas une cotte d’armes française dans
ce cercle terrible. Sur les targes et les écus, rien que des devises anglaises
ou gasconnes. « Rendez-vous, rendez-vous, sinon vous êtes mort », lui
crie-t-on.
    Mais le roi fou n’entend rien. Il continue
de fendre l’air avec sa hache. Comme on l’a reconnu, on se tient à
distance ; dame, on veut le prendre vivant ! Et il tranche le vent à
droite, à gauche, à droite surtout parce qu’à gauche il a l’œil collé par le
sang… « Père, gardez-vous… » Un coup atteint le roi à l’épaule. Un
énorme chevalier alors traverse la presse, fait brèche de son corps dans le mur
d’acier, joue des cubitières, et parvient devant le roi haletant qui toujours
mouline l’air. Non, ce n’est pas Jean d’Artois ; je vous l’ai dit, il est
prisonnier. D’une forte voix française, le chevalier crie : « Sire,
Sire, rendez-vous. »
    Le roi Jean alors s’arrête de
frapper contre rien, contemple ceux qui l’entourent, qui l’enferment, et répond
au chevalier : « À qui me rendrais-je, à qui ? Où est mon cousin
le prince de Galles ? C’est à lui que je parlerai.
    — Sire, il n’est pas ici ;
mais rendez-vous à moi, et je vous mènerai devers lui, répond le géant.
    — Qui êtes-vous ?
    — Je suis Denis de Morbecque,
chevalier, mais depuis cinq ans au royaume d’Angleterre, puisque je ne puis
demeurer au vôtre. »
    Morbecque, condamné pour homicide et
délit de guerre privée, le frère de ce Jean de Morbecque qui travaille si bien
pour les Navarre, qui a négocié le traité entre Philippe d’Évreux et
Édouard III. Ah ! Le sort faisait bien les choses et mettait des
épices dans l’infortune pour la rendre plus amère.
    « Je me rends à vous »,
dit le roi.
    Il jeta sa hache d’armes dans
l’herbe, ôta son gantelet et le tendit au gros chevalier. Et puis, un instant
immobile, l’œil clos, il laissa la défaite descendre en lui.
    Mais voilà qu’à son entour le
hourvari reprenait, qu’il était bousculé, tiré, pressé, secoué, étouffé. Les
vingt gaillards criaient tous ensemble : « Je l’ai pris, je l’ai
pris, c’est moi qui l’ai pris ! » Plus fort que tous, un Gascon
gueulait : « Il est à moi. J’étais le premier à l’assaillir. Et vous
venez, Morbecque, quand la besogne est faite. » Et Morbecque de
répondre : « Que clamez-vous, Troy ? Il s’est rendu à moi, pas à
vous. »
    C’est qu’elle allait rapporter gros,
et d’honneur et d’argent, la prise du roi de France ! Et chacun cherchait
à l’agripper pour assurer son droit. Saisi au bras par Bertrand de Troy, au col
par un autre, le roi finit par être renversé dans son armure. Ils l’eussent séparé
en quartiers. « Seigneurs, seigneurs ! criait-il, menez-moi
courtoisement, voulez-vous, et mon fils aussi, devers le prince mon cousin. Ne
vous battez plus de ma prise. Je suis assez grand pour tous vous faire
riches. »
    Mais ils n’écoutaient rien. Ils
continuaient de hurler : « C’est moi qui l’ai pris. Il est
mien ! »
    Et ils se battaient entre eux, ces
chevaliers, gueules rogues et griffes de fer levées, ils se battaient pour un
roi comme des chiens pour un os. Passons à présent du côté du prince de Galles.
Son bon capitaine, Jean Chandos, venait de le rejoindre sur un tertre qui
dominait une grande partie du champ de bataille, et ils s’y étaient arrêtés.
Leurs chevaux, les naseaux injectés de sang, le mors enveloppé de bave
mousseuse, étaient couverts d’écume. Eux-mêmes haletaient. « Nous nous
entendions l’un l’autre prendre de grandes goulées d’air », m’a raconté
Chandos. La face du prince ruisselait et son camail d’acier, fixé au casque,
qui enfermait le visage et les épaules, se soulevait à chaque prise d’haleine.
    Devant eux, ce n’étaient que haies
éventrées, arbrisseaux cassés, vignes ravagées. Partout des montures et des
hommes abattus. Ici un cheval n’en finissait pas de mourir, battant des fers.
Là, une cuirasse rampait. Ailleurs, trois écuyers portaient au pied d’un arbre
le corps

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