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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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point parti avec ses
batailles. »
    Alors le prince leur dit :
« Je vous prie, partez et chevauchez pour m’en dire la vérité. Trouvez le
roi Jean. »
    Les Anglais étaient épars, répandus
sur près de deux lieues rondes, chassant l’homme, poursuivant et ferraillant. À
présent que la journée était gagnée, chacun traquait pour son profit.
Dame ! Tout ce que porte sur lui un chevalier pris, armes et joyaux,
appartient à son vainqueur. Et ils étaient bellement adornés, les barons du roi
Jean. Beaucoup avaient des ceintures d’or. Sans parler des rançons, bien sûr,
qui se discuteraient et seraient fixées selon le rang du prisonnier. Les
Français sont assez vaniteux pour qu’on les laisse eux-mêmes fixer le prix
auquel ils s’estiment. On pouvait bien se fier à leur gloriole. Alors, à chacun
sa chance ! Ceux-là qui avaient eu la bonne fortune de mettre la main sur
Jean d’Artois, ou le comte de Vendôme, ou le comte de Tancarville, étaient en
droit de songer à se faire bâtir château. Ceux qui ne s’étaient saisis que d’un
petit banneret, ou d’un simple bachelier, pourraient seulement changer le
meuble de leur grand-salle et offrir quelques robes à leur dame. Et puis il y
aurait les dons du prince, pour les plus hauts faits et belles prouesses.
    « Nos hommes sont à chasser la
déconfiture jusques aux portes de Poitiers », vint annoncer Jean de
Grailly, capitaine de Buch. Un homme de sa bannière qui revenait de là-bas avec
quatre grosses prises, n’en pouvant conduire plus, lui avait appris qu’il s’y
faisait grand abattis de gens, parce que les bourgeois de Poitiers avaient
fermé leurs portes ; devant celles-ci, sur la chaussée, on s’était occis
horriblement, et maintenant les Français se rendaient d’aussi loin qu’ils
apercevaient un Anglais. De très ordinaires archers avaient jusqu’à cinq et six
prisonniers. Jamais on n’avait ouï telle méchéance.
    « Le roi Jean y est-il ?
demanda le prince. – Certes non. On me l’aurait dit. »
    Et puis, au bas du tertre, Warwick
et Cobham reparurent, allant à pied, la bride de leur cheval au bras, et
cherchant à mettre paix parmi une vingtaine de chevaliers et écuyers qui leur
faisaient escorte. En anglais, en français, en gascon, ces gens disputaient
avec des grands gestes, mimant des mouvements de combat. Et devant eux, tirant
ses pas, allait un homme épuisé, un peu titubant, qui, de sa main nue, tenait
par le gantelet un enfant en armure. Un père et un fils qui marchaient côte à
côte, tous deux portant sur la poitrine des lis de soie tailladés.
    « Arrière ; que nul
n’approche le roi, s’il n’en est requis », criait Warwick aux disputeurs.
    Et là seulement Édouard de Galles,
prince d’Aquitaine, duc de Cornouailles, connut, comprit, embrassa l’immensité
de sa victoire. Le roi, le roi Jean, le chef du plus nombreux et plus puissant
royaume d’Europe… L’homme et l’enfant marchaient vers lui très lentement…
Ah ! cet instant qui demeurerait toujours dans la mémoire des
hommes !… Le prince eut l’impression qu’il était regardé de toute la
terre.
    Il fit un signe à ses gentilshommes,
pour qu’on l’aidât à descendre de cheval. Il se sentait les cuisses raides et
les reins aussi.
    Il se tint sur la porte de son
pavillon. Le soleil, qui inclinait, traversait le boqueteau de rayons d’or. On
les aurait bien surpris, tous ces hommes, en leur disant que l’heure de Vêpres
était déjà passée.
    Édouard tendit les mains au présent
que lui amenaient Warwick et Cobham, au présent de la Providence. Jean de
France, même courbé par le destin adverse, est de plus grande taille que lui.
Il répondit au geste de son vainqueur. Et ses deux mains aussi se tendirent,
l’une gantée, l’autre nue. Ils restèrent un moment ainsi, non pas s’accolant, simplement
s’étreignant les mains. Et puis Édouard eut un geste qui allait toucher le cœur
de tous les chevaliers. Il était fils de roi ; son prisonnier était roi
couronné. Alors, toujours le tenant par les mains, il inclina profondément la
tête, et il esquissa une pliure du genou. Honneur à la vaillance malheureuse…
Tout ce qui grandit notre vaincu grandit notre victoire. Il y eut des gorges
qui se serrèrent chez ces rudes hommes.
    « Prenez place, Sire mon
cousin, dit Édouard en invitant le roi Jean à entrer dans le pavillon.
Laissez-moi vous servir le vin et les épices. Et pardonnez que, pour le

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