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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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souper,
je vous fasse faire bien simple chère. Nous passerons à table tout à
l’heure. »
    Car on s’affairait à dresser une
grande tente sur le tertre. Les gentilshommes du prince connaissaient leur
devoir. Et les cuisiniers ont toujours quelques pâtés et viandes dans leurs
coffres. Ce qui manquait, on alla le chercher au garde-manger des moines de
Maupertuis. Le prince dit encore : « Vos parents et barons auront
plaisir à se joindre à vous. Je les fais appeler. Et souffrez qu’on panse cette
blessure au front qui montre votre grand courage. »
     

IX

LE SOUPER DU PRINCE
    C’est chose qui fait songer au destin
des nations, que de vous conter tout cela, qui vient de survenir… et qui marque
un grand changement, un grand tournement pour le royaume… justement ici entre
toutes places, justement à Verdun… Pourquoi ? Eh ! mon neveu, parce
que le royaume y est né, parce que ce qu’on peut nommer le royaume de France
est issu du traité signé ici-même après la bataille de Fontenoy, alors Fontanetum …
vous savez bien, où nous sommes passés… entre les trois fils de Louis le Pieux.
La part de Charles le Chauve y fut pauvrement découpée, d’ailleurs sans
regarder les vérités du sol. Les Alpes, le Rhin eussent dû être frontières
naturelles à la France, et il n’est pas de bon sens que Verdun et Metz soient
terres d’Empire. Or, que va-t-il en être de la France, demain ? Comment
va-t-on la découper ? Peut-être n’y aura-t-il plus de France du tout, dans
dix ou vingt ans, certains se le demandent sérieusement. Ils voient un gros
morceau anglais, et un morceau navarrais allant d’une mer à l’autre avec toute
la Langue d’oc, et un royaume d’Arles rebâti dans la mouvance de l’Empire, avec
la Bourgogne en sus… Chacun rêve de dépecer la faiblesse.
    Pour vous dire mon sentiment, je n’y
crois guère, parce que l’Église, tant que je vivrai et que vivront quelques
autres de ma sorte, ne permettra point cet écartèlement. Et puis le peuple a
trop le souvenir et l’habitude d’une France qui fut une et grande. Les Français
verront vite qu’ils ne sont rien s’ils ne sont plus du royaume, s’ils ne sont
plus rassemblés dans un seul État. Mais il y aura des gués difficiles à
traverser. Peut-être serez-vous mis devant des choix pénibles. Choisissez
toujours, Archambaud, dans le sens du royaume, même s’il est commandé par un
mauvais roi… parce que le roi peut mourir, ou être déchassé, ou tenu en
captivité, mais le royaume dure.
    La grandeur de la France, elle
apparaissait, au soir de Poitiers, dans les égards mêmes que le vainqueur,
ébloui de sa fortune et presque n’y croyant pas, prodiguait au vaincu. Étrange
tablée que celle qui s’installa, après la bataille, au milieu d’un bois du
Poitou, entre des murs de drap rouge. Aux places d’honneur, éclairés par des
cierges, le roi de France, son fils Philippe, Monseigneur Jacques de Bourbon,
qui devenait duc puisque son père avait été tué dans la journée, le comte Jean
d’Artois, les comtes de Tancarville, d’Étampes, de Dammartin, et aussi les
sires de Joinville et de Parthenay, servis dans des couverts d’argent ; et
répartis aux autres tables, entre des chevaliers anglais et gascons, les plus
puissants et les plus riches des autres prisonniers.
    Le prince de Galles affectait de se
lever pour servir lui-même le roi de France et lui verser le vin en abondance.
    « Mangez, cher Sire, je vous en
prie. N’ayez point regret à le faire. Car si Dieu n’a pas consenti à votre
vouloir et si la besogne n’a pas tourné de votre côté, vous avez aujourd’hui conquis
haut renom de prouesse, et vos hauts faits ont passé les plus grands.
Certainement Monseigneur mon père vous fera tout l’honneur qu’il pourra, et
s’accordera à vous si raisonnablement que vous demeurerez bons amis ensemble.
Au vrai, chacun ici vous reconnaît le prix de bravoure, car en cela vous l’avez
emporté sur tous. »
    Le ton était donné. Le roi Jean se
détendait. L’œil gauche tout bleu, et une entaille dans son front bas, il
répondait aux politesses de son hôte. Roi-chevalier, il lui importait de se
montrer tel dans la défaite. Aux autres tables, les voix montaient de timbre.
Après qu’ils s’étaient durement heurtés à l’épée ou à la hache, les seigneurs
des deux partis, à présent, faisaient assaut de compliments.
    On commentait haut les péripéties de
la bataille. On ne

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