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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’un chevalier expirant. Partout, archers gallois et courtilliers
irlandais dépouillaient les cadavres. On entendait encore dans quelques coins
des cliquetis de combat. Des chevaliers anglais passaient dans la plaine
serrant un des derniers Français qui cherchait sa retraite.
    Chandos dit : « Dieu
merci, la journée est vôtre, Monseigneur.
    — Eh oui, par Dieu, elle l’est.
Nous l’avons emporté ! « lui répondit le prince. Et Chandos
reprit : « Il serait bon, je crois, que vous vous arrêtiez ici, et
fassiez mettre votre bannière sur ce haut buisson. Ainsi se rallieront vers
vous vos gens, qui sont fort épars. Et vous-même pourrez vous rafraîchir un
petit, car je vous vois fort échauffé. Il n’y a plus à poursuivre.
    — Je pense ainsi », dit le
prince.
    Et tandis que la bannière aux lions
et aux lis était plantée sur un buisson et que les sonneurs cornaient,
cornaient dans leur trompe le rappel au prince, Édouard se fit ôter son
bassinet, secoua ses cheveux blonds, essuya, sa moustache trempée.
    Quelle journée ! Il faut bien
reconnaître qu’il avait vraiment payé de sa personne, galopant sans relâche,
pour se montrer à chaque troupe, encourageant ses archers, exhortant ses
chevaliers, décidant des points où pousser des renforts… enfin, c’est surtout
Warwick et Suffolk, ses maréchaux, qui décidaient ; mais il était toujours
là pour leur dire :
    « Allez, vous faites bien… »
Au vrai, il n’avait pris de lui-même qu’une seule décision, mais capitale, et
qui lui méritait vraiment la gloire de toute la journée. Lorsqu’il avait vu le
désordre causé dans la bannière d’Orléans par le seul reflux de la charge
française, il avait aussitôt remis en selle une partie de son monde pour aller
produire semblable effet dans la bataille du duc de Normandie. Lui-même était
entré dans la mêlée à dix reprises. On avait eu l’impression qu’il était
partout. Et chacun qui ralliait venait le lui dire. « La journée est
vôtre. La journée est vôtre… C’est grande date, dont les peuples garderont
mémoire. La journée est vôtre, vous avez fait merveille. »
    Ses gentilshommes du corps et de la
chambre se hâtèrent à lui dresser son pavillon, sur place, et à faire avancer
le chariot, soigneusement garé, qui contenait tout le nécessaire de son repas,
sièges, tables, couverts, vins.
    Il ne pouvait pas se décider à
descendre de cheval, comme si la victoire n’était pas vraiment acquise.
    « Où est le roi de France,
l’a-t-on vu ? » demandait-il à ses écuyers.
    Il était grisé d’action. Il
parcourait le tertre, prêt à quelque lutte suprême.
    Et soudain il aperçut, renversée
dans les bruyères, une cuirasse immobile. Le chevalier était mort, abandonné de
ses écuyers, sauf d’un vieux serviteur blessé, qui se cachait dans un taillis.
Auprès du chevalier, son pennon : armes de France au sautoir de gueules.
Le prince fit ôter le bassinet du mort. Eh ! oui, Archambaud… c’est bien
ce que vous pensez ; c’était mon neveu… c’était Robert de Durazzo.
    Je n’ai pas honte de mes larmes…
Certes, son honneur propre l’avait poussé à une action que l’honneur de
l’Église, et le mien, auraient dû lui défendre. Mais je le comprends. Et puis,
il fut vaillant… Il n’est pas de jour où je ne prie Dieu de lui faire pardon.
    Le prince commanda à ses
écuyers : « Mettez ce chevalier sur une targe, portez-le à Poitiers
et présentez-le pour moi au cardinal de Périgord, et dites-lui que je le
salue. »
    Et c’est de la sorte, oui, que
j’appris que la victoire était aux Anglais. Dire que, le matin, le prince était
prêt à traiter, à tout rendre de ses prises, à suspendre les armes, pour sept ans !
Il m’en fit beau reproche, le lendemain, quand nous nous revîmes à Poitiers.
Ah ! il ne mâcha pas ses paroles. J’avais voulu servir les Français, je
l’avais trompé sur leur force, j’avais mis tout le poids de l’Église dans la
balance pour l’amener à composition. Je ne pus que lui répondre :
« Beau prince, vous avez épuisé les moyens de la paix, par amour de Dieu.
Et la volonté de Dieu s’est fait connaître. » Voilà ce que je lui dis…
    Mais Warwick et Suffolk étaient
arrivés sur le tertre, et avec eux Lord Cobham. « Avez-vous nouvelles du
roi Jean ? leur demanda le prince.
    — Non, pas de notre vue, mais
nous croyons bien qu’il est mort ou pris, car il n’est

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