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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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tarissait pas de louanges sur la hardiesse du jeune prince
Philippe qui, lourd de mangeaille après cette dure journée, dodelinait sur son
siège et glissait au sommeil.
    Et l’on commençait à faire les
comptes. Outre les grands seigneurs, ducs, comtes et vicomtes qui étaient une
vingtaine, on avait déjà pu dénombrer parmi les prisonniers plus de soixante
barons et bannerets ; les simples chevaliers, écuyers et bacheliers ne
pouvaient être recensés. Plus d’un double millier assurément ; on ne
saurait vraiment le total que le lendemain…
    Les morts ? Il fallait les
estimer en même quantité. Le prince ordonna que ceux déjà ramassés fussent
portés, dès l’aurore suivante, au couvent des frères mineurs de Poitiers, en
tête les corps du duc d’Athènes, du duc de Bourbon, du comte-évêque de Châlons,
pour y être enterrés avec toute la pompe et l’honneur qu’ils méritaient. Quelle
procession ! Jamais couvent n’aurait vu tant de hauts hommes et de si
riches lui arriver en un seul jour. Quelle fortune, en messes et dons, allait
s’abattre sur les Frères Mineurs ! Et autant sur les Frères Prêcheurs.
    Je vous dis tout de suite qu’il
fallut dépaver la nef et le cloître de deux couvents pour mettre dessous, sur
deux étages, les Geoffroy de Charny, les Rochechouart, les Eustache de
Ribemont, les Dance de Melon, les Jean de Montmorillon, les Seguin de Cloux,
les La Fayette, les La Rochedragon, les La Rochefoucault, les La Roche Pierre
de Bras, les Olivier de Saint-Georges, les Imbert de Saint-Saturnin, et je
pourrais encore vous en citer par vingtaines.
    « Sait-on ce qu’il est advenu
de l’Archiprêtre ? » demandait le roi.
    L’Archiprêtre était blessé,
prisonnier d’un chevalier anglais. Combien valait l’Archiprêtre ? Avait-il
gros château, grandes terres ? Son vainqueur s’informait sans vergogne.
Non. Un petit manoir à Vélines. Mais que le roi l’ait nommé haussait son prix.
    « Je le rachèterai », dit
Jean II qui, sans savoir encore ce qu’il allait coûter lui-même à la
France, recommençait à faire le grandiose.
    Alors le prince Édouard de
répondre : « Pour l’amour de vous, Sire mon cousin, je rachèterai
moi-même cet archiprêtre, et lui rendrai la liberté, si vous le
souhaitez. »
    Le ton montait autour des tables. Le
vin et les viandes, goulûment avalés, portaient à la tête de ces hommes
fatigués, qui n’avaient rien mangé depuis le matin. Leur assemblée tenait à la
fois du repas de cour après les grands tournois et de la foire aux bestiaux.
    Morbecque et Bertrand de Troy
n’avaient pas fini de se disputer quant à la prise du roi. « C’est moi,
vous dis-je ! – Que non ; j’étais sur lui, vous m’avez
écarté ! – À qui a-t-il remis son gant ? »
    De toute manière, ce ne serait pas à
eux qu’irait la rançon, énorme à coup sûr, mais au roi d’Angleterre. Prise de
roi est au roi. Ce dont ils débattaient, c’était de savoir qui toucherait la
pension que le roi Édouard ne manquerait pas d’accorder. À se demander s’ils
n’auraient pas eu plus de profit, sinon d’honneur, à prendre un riche baron
qu’ils se seraient partagé. Car on faisait des partages, si l’on avait été à
deux ou trois sur le même prisonnier. Ou bien des échanges. « Donnez-moi
le sire de La Tour ; je le connais, il est parent à ma bonne épouse. Je
vous remettrai Mauvinet, que j’ai pris. Vous y gagnez ; il est sénéchal de
Touraine. »
    Et le roi Jean soudain frappa du
plat de la main sur la table.
    « Mes sires, mes bons
seigneurs, j’entends que tout se fasse entre vous et ceux qui nous ont pris
selon l’honneur et la noblesse. Dieu a voulu que nous soyons déconfits, mais
vous voyez les égards qu’on nous prouve. Nous devons garder la chevalerie. Que
nul ne s’avise de fuir ou de forfaire à la parole donnée, car je le
honnirai. »
    On eût dit qu’il commandait, cet
écrasé, et il prenait toute sa hauteur pour inviter ses barons à être bien
exacts dans la captivité.
    Le prince de Galles qui lui versait
le vin de Saint-Émilion l’en remercia. Le roi Jean le trouvait aimable, ce
jeune homme. Comme il était attentif, comme il avait de belles façons. Le roi
Jean eût aimé que ses fils lui ressemblassent ! Il ne résista pas, la
boisson et la fatigue aidant, à lui dire : « N’avez-vous point connu
Monsieur d’Espagne ? – Non, cher Sire ; je l’ai seulement
affronté sur

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