Quand un roi perd la France
mer… » Il était courtois, le prince ; il aurait pu
dire : « Je l’ai défait… » « C’était un bon ami. Vous m’en
rappelez la mine et la tournure… » Et puis soudain, avec de la méchanceté
dans la voix : « Ne me demandez point de rendre la liberté à mon
gendre de Navarre ; cela, contre ma vie, je ne le ferai point. »
Le roi Jean II, un moment,
avait été grand, vraiment, un très bref moment, dans l’instant qui avait suivi
sa capture. Il avait eu la grandeur de l’extrême malheur. Et voici qu’il
revenait à sa nature : des manières répondant à l’image exagérée qu’il se
faisait de soi, un jugement faible, des soucis futiles, des passions honteuses,
des impulsions absurdes et des haines tenaces.
La captivité, d’une certaine façon,
n’allait pas lui déplaire, une captivité dorée, s’entend, une captivité royale.
Ce faux glorieux avait rejoint son vrai destin, qui était d’être battu. Finis,
pour un temps, les soucis du gouvernement, la lutte contre toutes choses
adverses en son royaume, l’ennui de donner des ordres qui ne sont point suivis.
À présent, il est en paix ; il peut prendre à témoin ce ciel qui lui a été
contraire, se draper dans son infortune, et feindre de supporter avec noblesse
la douleur d’un sort qui lui convient si bien. À d’autres le fardeau de
conduire un peuple rétif ! On verra s’ils parviennent à faire mieux…
« Où m’emmenez-vous, mon
cousin ? demanda-t-il. – À Bordeaux, cher Sire, où je vous donnerai
bel hôtel, pourvoyance, et fêtes pour vous réjouir, jusqu’à ce que vous vous
accommodiez avec le roi mon père.
— Est-il joie pour un roi
captif ? » répondit Jean II déjà tout attentif à son personnage.
Ah ! que n’avait-il accepté, au
début de cette journée de Poitiers, les conditions que je lui portais ?
Vit-on jamais pareil roi, en position de tout gagner le matin, sans avoir à
tirer l’épée, qui peut rétablir sa loi sur le quart de son royaume, seulement en
posant son seing et son sceau sur le traité que son ennemi traqué lui offre, et
qui refuse… et le soir se retrouve prisonnier !
Un oui au lieu d’un non. L’acte
irrattrapable. Comme celui du comte d’Harcourt, remontant l’escalier de Rouen
au lieu de sortir du château. Jean d’Harcourt y a laissé la tête ; là,
c’est la France entière qui risque d’en connaître agonie.
Le plus surprenant, et l’injuste,
c’est que ce roi absurde, obstiné seulement à gâcher ses chances, et qu’on
n’aimait guère avant Poitiers, est bientôt devenu, parce qu’il est vaincu,
parce qu’il est captif, objet d’admiration, de pitié et d’amour pour son
peuple, pour une partie de son peuple. Jean le Brave, Jean le Bon…
Et cela commença dès le souper du
prince. Alors qu’ils avaient tout à reprocher à ce roi qui les avait menés au
malheur, les barons et chevaliers prisonniers exaltaient son courage, sa
magnanimité, que sais-je ? Ils se donnaient, les vaincus, bonne conscience
et bel aspect. Quand ils rentreront, leurs familles s’étant saignées et ayant
saigné leurs manants pour payer leurs rançons, ils diront, soyez-en sûr, avec
superbe : « Vous ne fûtes pas comme moi auprès de notre roi Jean… »
Ah ! ils la raconteront, la journée de Poitiers !
À Chauvigny, le Dauphin, qui prenait
un repas triste en compagnie de ses frères et entouré seulement de quelques
serviteurs, fut averti que son père était vivant, mais captif. « À vous de
gouverner, à présent, Monseigneur », lui dit Saint-Venant.
Il n’y a guère dans le passé, à mon
savoir, princes de dix-huit ans qui aient eu à prendre le gouvernail dans une
situation aussi piteuse. Un père prisonnier, une noblesse diminuée par la
défaite, deux armées ennemies campant dans le pays, car il y a toujours
Lancastre au-dessus de la Loire… plusieurs provinces ravagées, point de
finances, des conseillers cupides, divisés et haïs, un beau-frère en forteresse
mais dont les partisans bien actifs relèvent la tête plus que jamais, une
capitale frémissante qu’une poignée de bourgeois ambitieux incite à l’émeute…
Ajoutez à cela que le jeune homme est de chétive santé, et que sa conduite en
bataille n’a pas fait grandir sa réputation.
À Chauvigny, toujours ce même soir,
comme il avait décidé de rentrer à Paris par le plus court, Saint-Venant lui
demanda : « Quelle qualité, Monseigneur, devront
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