Le retour
Chapitre 1
- Aïe! Ça va
faire! s'écria Laurette Morin, rouge de colère, en se tournant tout d'une pièce
vers l'homme vêtu d'un sarrau blanc qui venait de passer derrière elle.
Le contremaître,
apparemment sourd au cri indigné de la grosse femme, poursuivit son inspection
sans se presser.
Quelques pas plus
loin, il s'arrêta, le temps de lancer un coup d'oeil à la grande horloge fixée
à l'un des piliers de la vaste salle de mise en boîte de la biscuiterie Viau.
Il compara l'heure indiquée à celle de la montre de gousset qu'il venait de
tirer de l'une de ses poches.
Maxime Gendron
resta planté un bon moment au milieu de l'allée, jetant un regard impérieux
autour de lui.
Il régnait en
monarque absolu sur son petit monde de femmes.
Dans le cliquetis
assourdissant des machines, une trentaine d'employées à la tête recouverte
d'une résille procédaient à la mise en boîte des biscuits Whippet, la fierté de
la biscuiterie Viau. Certaines, assises sur un tabouret, vérifiaient la qualité
du recouvrement du chocolat tandis que d'autres, debout, surveillaient
l'emballage des boîtes rouge et blanc.
Au bout de la
chaîne de production, Laurette Morin disposait les boîtes fraîchement
recouvertes de cellophane dans une grande boîte cartonnée placée à ses pieds.
Après avoir adressé un dernier regard meurtrier au petit homme bedonnant à demi
chauve qui lui avait pincé les fesses au passage, la mère de famille de
quarante-trois ans reprit son travail, la rage au coeur.
Une sonnerie
retentit dans la salle.
- C'est l'heure!
cria Gendron.
Immédiatement, la
moitié des employées se retira de la chaîne et se dirigea d'un pas pressé vers
le local appelé par dérision "salon des employés". En fait, il ne
s'agissait que d'une grande pièce assez mal éclairée encombrée de longues
tables et de casiers métalliques dans lesquels on rangeait ses effets personnels.
À l'entrée de
Laurette et de ses collègues, une trentaine d'ouvrières avaient déjà pris
d'assaut les tables et s'occupaient à déballer leur repas du midi. Le niveau
sonore de l'endroit était déjà élevé et l'on s'interpellait joyeusement d'une
table à l'autre. Laurette prit dans son casier le sac brun dans lequel elle
avait déposé les deux sandwichs au Paris-Pâté de son repas du midi et alla
s'asseoir à sa place habituelle, au bout de la dernière table. Elle fut
immédiatement rejointe par ses amies Dorothée Paquette et Lucienne Dubeau.
- L'enfant de
chienne, il me fera pas ça une autre fois!
leur dit-elle,
les dents serrées.
- Bon. Qu'est-ce
que t'as encore? lui demanda Lucienne, la plus ancienne employée du
département, habituée à ses éclats de voix.
- Il y a que
l'écoeurant de Gendron m'a encore pincé les fesses! explosa Laurette, rouge
d'indignation. Il y a tout de même des limites! Il me prend pour qui? Je suis
une femme mariée, moi!
- Voyons,
Laurette! C'est pas la fin du monde! Il fait ça à toutes les filles, la
raisonna son amie. Elles en font pas toute une maladie pour ça.
12
- Peut-être, mais
moi, j'endurerai pas ça plus longtemps. Si le printemps le travaille, le gros
vicieux, je vais lui régler son problème. La prochaine fois qu'il me touche, je
l'étampe sur le mur. Sa femme le reconnaîtra même plus après ça.
- A ta place, je
ferais pas ça, lui conseilla Dorothée Lafontaine, une jolie petite femme
effacée et nerveuse.
Gendron a l'air
de rien, mais il est pesant.
- C'est vrai,
renchérit Lucienne. Ça fait trois ans que tu travailles avec nous autres. Tu
devrais savoir que quand il se met sur le dos d'une fille, il la lâche pas tant
qu'il est pas arrivé à la faire mettre dehors.
- Fais-en pas un
drame, lui recommanda Dorothée.
Contente-toi de
lui donner une claque sur la main, il va comprendre.
- C'est sur la
gueule que j'ai envie de lui mettre ma main, conclut Laurette.
- Je te
comprends, fit son amie Lucienne, mais pense à ta job. A notre âge, c'est pas
facile pantoute de s'en trouver une autre. Chez Viau, on est ben traitées et le
salaire est pas mal.
- T'as raison,
reconnut-elle, mais ça m'écoeure pareil, ajouta-t-elle avant de mordre avec
rage dans son sandwich.
Ses deux
compagnes de travail l'imitèrent et, durant quelques instants, les trois femmes
mangèrent avec appétit leur repas du midi. Laurette décapsula une bouteille de
Coke et en but une
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