Quand un roi perd la France
vicaires à qui je laissais le soin d’administrer. J’ordonnais
qu’on ne me dérangeât que pour affaires graves, ce qui m’acquit du respect et
même un peu de crainte. J’eus le loisir ainsi de poursuivre mes études. J’étais
déjà fort savant en droit canon ; j’obtins d’appeler de bons maîtres à ma
résidence afin de me parfaire en droit civil. Ils vinrent de Toulouse où
j’avais pris mes grades, et qui est tout aussi bonne université que celle de
Paris, tout aussi fournie en hommes de savoir. Par reconnaissance, j’ai décidé…
je veux vous en avertir, mon neveu, puisque l’occasion s’en trouve ; ceci
est consigné dans mes volontés dernières, pour le cas où je n’aurais pu
accomplir la chose de mon vivant… j’ai décidé de faire fondation, à Toulouse,
d’un collège pour des escholiers périgordins pauvres… Prenez donc cette toile,
Archambaud, et séchez-vous les doigts…
C’est aussi à Limoges que je
commençai à m’instruire en astrologie. Car les deux sciences les plus
nécessaires à ceux qui doivent exercer gouvernement sont bien celle du droit et
celle des astres, pour ce que la première apprend les lois qui régissent les
rapports et obligations que les hommes ont entre eux, ou avec le royaume, ou
avec l’Église, et la seconde donne connaissance des lois qui régissent les
rapports des hommes avec la Providence. Le droit et l’astrologie ; les
lois de la terre, les lois du ciel. Je dis qu’il n’y a point à sortir de là.
Dieu fait naître chacun de nous à l’heure qu’il veut, et cette heure est
marquée à l’horloge céleste, où il nous a, par grande bonté, permis de lire. Je
sais qu’il est de piètres croyants qui se gaussent de l’astrologie, parce que
cette science abonde en charlatans et marchands de mensonges. Mais cela fut de
tout temps, et les vieux livres nous rapportent que les anciens Romains et
autres peuples antiques dénonçaient les mauvais tireurs d’horoscopes et les
faux mages vendeurs de prédictions ; cela n’empêchait point qu’ils
recherchassent les bons et justes lecteurs de ciel, qui pratiquaient souvent
dans les sanctuaires. Ce n’est point parce qu’il est des prêtres simoniaques,
ou intempérants, qu’il faut fermer toutes les églises.
Je suis aise de vous voir partager
mes opinions là-dessus. C’est l’attitude humble qui convient au chrétien devant
les décrets du Seigneur, le créateur de toutes choses, qui se tient derrière
les étoiles…
Vous souhaiteriez… Mais bien
volontiers, mon neveu, je le ferai bien volontiers pour vous. Savez-vous
l’heure de votre naissance ?… Ah ! il faudrait la savoir ;
mandez quelqu’un à votre mère, pour la prier de vous donner l’heure de votre premier
cri. Ce sont les mères qui gardent mémoire de ces choses-là…
Pour ma part, je n’ai jamais eu qu’à
me louer de pratiquer la science astrale. Cela m’a permis de donner d’utiles
conseils aux princes qui voulaient bien m’écouter, et aussi de connaître la
nature des gens en face de qui je me trouvais, et de me garder de ceux dont le
sort était contraire au mien. Ainsi, le Capocci, j’ai toujours su qu’il me
serait adverse en tout, et me suis toujours défié de lui… C’est à partir des
astres que j’ai réussi maintes négociations et conclu maints arrangements
favorables, comme pour ma sœur de Durazzo ou pour le mariage de Louis de
Sicile ; et les bénéficiaires reconnaissants ont grossi ma fortune. Mais
en tout premier, c’est auprès de Jean XXII… Dieu le garde ; il fut
mon bienfaiteur… que cette science me fut de précieux service. Car ce pape
était grand alchimiste et astrologien lui-même ; de savoir que je
m’adonnais au même art, avec succès, lui dicta un recroît de faveur pour moi et
lui inspira d’écouter le souhait du roi de France en me créant cardinal à
trente ans, ce qui est chose peu commune. J’allai donc en Avignon recevoir mon
chapeau. Vous savez comment la chose se passe. Non ?
Le pape donne un grand banquet, où
sont conviés tous les cardinaux, pour l’entrée du nouveau dans la curie. À la
fin du repas, le pape s’assoit sur son trône, et impose le chapeau au nouveau
cardinal qui se tient agenouillé et lui baise d’abord le pied, puis la bouche.
J’étais trop jeune pour que Jean XXII… il avait alors quatre-vingt-sept
ans… m’appelât venerabilis frater ; alors il choisit de s’adresser
à moi en me donnant du dilectus
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