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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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les commandes du prieur ? Je leur ferai remplacer la croix
d’émail et les trois calices de vermeil qu’ils se sont hâtés d’offrir aux
Anglais, pour être saufs du pillage ; et ils solderont leurs annuités.
    Ils cherchaient tout benoîtement à
se faire confondre avec les gens de l’autre rive de la Vienne, où les routiers
du prince de Galles ont vraiment tout ravagé, pillé, grillé, comme nous l’avons
bien vu ce matin, à Chirac ou à Saint-Maurice-des-Lions. Et surtout à l’abbaye
de Lesterps où les chanoines réguliers se sont montrés vaillants. « Notre
abbaye est fortifiée ; nous la défendrons. » Et ils se sont battus
ces chanoines, en hommes bons et braves, que l’on ne contraint pas.
    Plusieurs ont péri dans l’affaire
qui se sont conduits plus noblement que ne l’ont fait à Poitiers maints
chevaliers de ma connaissance.
    Si tous les gens de France avaient
autant de cœur… Encore ont-ils trouvé moyen, ces honnêtes chanoines, dans leur
couvent tout calciné, de nous offrir dîner si plantureux et si bien apprêté
qu’il m’a porté au sommeil. Et avez-vous noté cet air de sainte gaieté qu’ils
arboraient sur leur visage ? « Nos frères ont été tués ? Ils
sont en paix ; Dieu les a accueillis dans sa mansuétude… Il nous a laissés
sur la terre ? C’est pour que nous puissions y faire bonne œuvre… Notre
couvent est à demi détruit ? Voilà l’occasion de le refaire plus beau… »
    Les bons religieux sont gais, mon
neveu, sachez-le. Je me méfie des trop sévères jeûneurs, à mine longue, avec
des yeux brûlants et rapprochés, comme s’ils avaient trop longtemps louché du
côté de l’enfer. Ceux à qui Dieu fait le plus haut honneur qui soit en les
appelant à son service ont une manière d’obligation de s’en montrer
joyeux ; c’est un exemple et une politesse qu’ils doivent aux autres
mortels.
    De même que les rois, puisque Dieu
les a élevés au-dessus de tous les autres hommes, ont devoir de montrer
toujours empire sur eux-mêmes. Messire Philippe le Bel qui était un parangon de
vraie majesté condamnait sans qu’on lui vît de colère ; et il portait le
deuil sans larmes.
    Dans l’occasion du meurtre de
Monsieur d’Espagne, que je vous contais hier, le roi Jean fit bien apparaître,
et de la plus pitoyable façon, qu’il était incapable d’imposer retenue à ses
passions. La pitié n’est pas ce qu’un roi doit inspirer ; mieux vaut qu’on
le croie fermé à la douleur. Pendant quatre jours, le nôtre fut dans
l’empêchement de prononcer un seul mot et de dire même s’il voulait manger ou
boire. Il errait dans les chambres, l’œil tout rouge et noyé, ne reconnaissant
personne, et s’arrêtant soudain pour sangloter. Il était vain de lui parler
d’aucune affaire. L’ennemi eût-il envahi son palais qu’il se fût laissé prendre
par la main. Il n’avait pas montré le quart de chagrin lorsqu’était morte la
mère de ses enfants, Madame de Luxembourg, ce que le Dauphin Charles ne manqua
point de relever. Ce fut même la première fois où on le vit marquer du mépris
pour son père, allant jusqu’à lui dire qu’il n’était pas décent de s’abandonner
ainsi. Mais le roi n’entendait rien.
    Il ne sortit de son abattement que
pour hurler. Hurler qu’on lui sellât céans son destrier, hurler qu’on
rassemblât l’ost ; hurler qu’il courait à Évreux faire justice, et que
chacun aurait à trembler… Ses familiers eurent grand-peine à le ramener à la
raison et à lui représenter que pour rassembler l’ost, même sans l’arrière-ban,
il ne fallait pas moins d’un mois ; que s’il voulait attaquer Évreux, il mettrait
la Normandie en dissension ; que, d’autre part, les trêves avec le roi
d’Angleterre venaient à expiration, et que s’il prenait à ce dernier l’envie de
profiter du désordre, le royaume pourrait se trouver en péril.
    On lui remontra aussi que,
peut-être, s’il avait respecté le contrat de mariage de sa fille et tenu son
engagement de remettre Angoulême à Charles de Navarre, au lieu d’en faire don à
son cher connétable…
    Jean II ouvrait le bras et
clamait : « Que suis-je donc, si je ne puis rien ? Je vois bien qu’aucun
de vous ne m’aime, et que j’ai perdu mon soutien. » Mais enfin, il resta
en son hôtel, jurant Dieu que jamais il ne connaîtrait joie jusqu’à ce qu’il
fût vengé.
    Cependant, Charles le Mauvais ne
demeurait pas inactif. Il

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