Quand un roi perd la France
choisit volontiers des gens qui ne le sont
point.
Mais à partir de là, les députés se
sont mis à requérir choses abusives. Ils exigent que le roi, ou pour le présent
son lieutenant le Dauphin, ne gouverne plus que par conseillers désignés par
les trois États, quatre prélats, douze chevaliers, douze bourgeois. Ce Conseil
aurait puissance de tout faire et ordonner, comme le roi le faisait avant,
nommerait à tous offices, pourrait réformer la Chambre des comptes et toutes
compagnies du royaume, déciderait du rachat des prisonniers, et encore de bien
d’autres choses. En vérité, il ne s’agit de rien moins que de dépouiller le roi
des attributs de la souveraineté.
Ainsi la direction du royaume ne
serait plus exercée par celui qui a été oint et sacré selon notre sainte
religion ; elle serait confiée à ce dit Conseil qui ne tirerait son droit
que d’une assemblée bavarde, et n’opérerait que dans la dépendance de celle-ci.
Quelle faiblesse et quelle confusion ! Ces prétendues réformations… vous
m’entendez, dom Calvo ; j’insiste là-dessus, car il ne faut point que le
Saint-Père puisse dire qu’il n’a pas été averti… ces prétendues réformations
sont offense au bon sens, en même temps qu’elles fleurent l’hérésie.
Or, des gens d’Église, la chose est
regrettable, penchent de ce côté-là, comme l’évêque de Laon, Robert Le Coq, lui
aussi dans la disgrâce du roi, et pour cela tout abouché au prévôt. C’est l’un
des plus véhéments.
Le Saint-Père doit bien voir que,
derrière tous ces remuements, on trouve le roi de Navarre qui semble mener les
choses du fond de sa prison, et qui les empirerait encore s’il les façonnait à
l’air libre. Le Saint-Père, en sa grande sagesse, jugera donc qu’il lui faut se
garder d’intervenir de la moindre façon pour que Charles le Mauvais, je veux
dire Monseigneur de Navarre, soit relâché, ce que maintes suppliques venues de
tous côtés doivent le prier de faire.
Pour ma part, usant de mes
prérogatives de légat et nonce… vous m’écoutez, Calvo ?… j’ai commandé à
l’évêque de Limoges d’être en ma suite pour se présenter à Metz. Il me
rejoindra à Bourges. Et j’ai résolu d’en faire autant de tous autres évêques
sur ma route, dont les diocèses ont été pillés et désolés par les chevauchées
du prince de Galles, afin qu’ils en témoignent devant l’Empereur. Je serai
ainsi renforcé pour représenter combien se révèle pernicieuse l’alliance qu’ont
faite le roi navarrais et celui d’Angleterre…
Mais qu’avez-vous à regarder sans
cesse au-dehors, dom Calvo ?… Ah ! c’est le balancement de ma litière
qui vous tourne l’estomac ! Moi, j’y suis fort habitué, je dirais même que
cela me stimule l’esprit ; et je vois que mon neveu, messire de Périgord,
qui me fait souvent compagnie depuis notre départ, n’en est point du tout
affecté C’est vrai, vous avez la mine trouble. Bon, vous allez descendre. Mais
n’oubliez rien de ce que je vous ai dit, quand vous prendrez vos plumes.
VIII
LE TRAITÉ DE MANTES
Où sommes-nous ? Avons-nous
passé Mortemart ?… Pas encore ! Eh bien, j’ai dormi un petit, ce me
semble… Oh ! comme le ciel s’assombrit, et comme les jours
raccourcissent ! Je rêvais, voyez-vous, mon neveu, je rêvais d’un prunier
en fleur, un gros prunier tout blanc, tout rond, tout empli d’oiseaux, comme si
chaque fleur chantait. Et le ciel était bleu, pareil au tapis de la Vierge. Une
vision angélique, un vrai coin du paradis. L’étrange chose que les rêves !
Avez-vous remarqué que, dans les Évangiles, il n’y a point de rêves relatés, à
part celui de Joseph au début de saint Matthieu ? C’est le seul. Alors
que, dans l’Ancien Testament, les patriarches ont sans cesse des songes, dans
le Nouveau, on ne rêve point. Je me suis souvent demandé pourquoi, sans pouvoir
répondre… Cela ne vous avait pas frappé ? C’est que vous n’êtes pas grand
lecteur des saintes Écritures, Archambaud… Je vois là un bon sujet, pour nos
savants docteurs de Paris ou d’Oxford, de disputer entre eux et de nous fournir
de gros traités et discours, en un latin si épais que personne n’y entendrait
plus goutte…
En tout cas, le Saint-Esprit m’a
bien inspiré de faire l’écart par La Péruse. Vous avez vu ces bons frères
bénédictins qui voulaient prendre avantage de la chevauchée anglaise pour ne
point payer
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