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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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depuis un mois construire fortifications et creuser fossés autour de la
ville, au-delà des enceintes anciennes, comme s’il se préparait à soutenir un
siège. Or, au point où nous en sommes des palabres de paix, les Anglais ne
montrent point d’intention de faire peser menace sur Paris, et l’on ne comprend
guère cette hâte à se fortifier. Mais outre cela, le prévôt a organisé ses
bourgeois en corps de ville, qu’il arme et exerce, avec quarteniers,
cinquanteniers et dizainiers pour assurer les commandements, tout à fait à
l’image des milices de Flandre qui gouvernent elles-mêmes leurs cités ; il
a imposé à Monseigneur le Dauphin, lieutenant du roi, d’agréer à la constitution
de cette milice, et, de surcroît, alors que toutes taxes et tailles royales
sont objet général de doléances et refus, il a, lui prévôt, afin d’équiper ses
hommes, établi un impôt sur les boissons qu’il perçoit directement.
    Ce maître Marcel qui naguère s’est
bien enrichi à la fourniture du roi, mais qui a perdu depuis quatre ans cette
fourniture et en a conçu un gros dépit, semble depuis le malheur de Poitiers
vouloir se mêler de toutes choses au royaume. On aperçoit mal ses desseins,
sauf celui de se rendre important ; mais il ne va guère dans le chemin de
l’apaisement que souhaite notre Saint-Père. Aussi, mon pieux devoir est de
conseiller au pape, s’il lui parvenait quelque demande de ce côté-là, de se
montrer fort sourcilleux, et de ne donner aucun appui, ni même apparence
d’appui, au prévôt de Paris et à ses entreprises.
    Vous m’avez déjà compris, dom Calvo.
Le cardinal Capocci est à Paris. Il pourrait bien, irréfléchi comme il l’est et
ne manquant point une bévue, se croire très fort en nouant intrigue avec ce
prévôt… Non, rien de précis ne m’a été rapporté ; mais mon nez me fait
sentir une de ces voies torses dans lesquelles mon colégat ne manque jamais de
s’engager…
    En lieu second, je veux inviter le
souverain pontife à se faire instruire par le menu des États généraux de la
Langue d’oïl qui se sont clos à Paris au début de ce mois, et à porter la
lumière de sa sainte attention sur les étrangetés qu’on y a vu se produire.
    Le roi Jean avait promis de
convoquer ces États au mois de décembre ; mais dans le grand émoi,
désordre et accablement où s’est trouvé le royaume en conséquence de la défaite
de Poitiers, le Dauphin Charles a cru sagement agir en avançant dès octobre la
réunion. En vérité, il n’avait guère d’autre choix à faire pour affermir
l’autorité qui lui échéait en cette malencontre, jeune comme il est, avec une
armée toute dessoudée par les revers, et un Trésor en extrême pénurie.
    Mais les huit cents députés de la
Langue d’oïl, dont quatre cents bourgeois, ne délibérèrent pas du tout des
points sur lesquels ils étaient invités à le faire.
    L’Église a longue expérience des
conciles qui échappent à ceux qui les ont assemblés. Je veux dire au pape que
ces États ressemblent tout exactement à un concile qui s’égare et s’arroge de
régenter de tout, et se rue à la réformation désordonnée en profitant de la
faiblesse du suprême pouvoir.
    Au lieu de s’affairer à la
délivrance du roi de France, nos gens de Paris se sont d’emblée souciés de
réclamer celle du roi de Navarre, ce qui montre bien de quel bord sont ceux qui
les mènent.
    Outre quoi, les huit cents ont nommé
une commission de quatre-vingts qui s’est mise à besogner dans le secret pour
produire une longue liste de remontrances où il y a un peu de bon et beaucoup
de pire. D’abord, ils demandent la destitution et la mise en jugement des
principaux conseillers du roi, qu’ils accusent d’avoir dilapidé les aides, et
qu’ils tiennent pour responsables de la défaite…
    Sur cela, je dois dire, Calvo… ce
n’est pas pour la lettre, mais je vous ouvre ma pensée… les remontrances ne
sont point tout à fait injustes. Parmi les gens auxquels le roi Jean a commis
le gouvernement, j’en sais qui ne valent guère, et qui même sont de francs
gredins. Il est naturel qu’on s’enrichisse dans les hautes charges, sinon
personne n’en voudrait prendre la peine et les risques. Mais il faut se garder
de franchir les limites de la déshonnêteté, et ne pas faire ses affaires aux
dépens de l’intérêt public. Et puis surtout, il faut être capable. Or le roi
Jean, étant peu capable lui-même,

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